mardi 5 septembre 2017

DE W

WILLY BONGO-PASI MOKE SANGOL INTRODUCTION DANS cette étude, nous présentons quelques applications épistémiques de l’Anthropologie du Geste (AG). Plusieurs lectures de Marcel Jousse ont été proposées. Prenant pour point de départ l’intussusception, la nôtre est philosophique basée sur une anthropologie et sur une épistémologie. C’est une Anthropologie Epistémique (AE) sous-jacente à l'Anthropologie du Geste1. Marcel Jousse est « le créateur d'une science nouvelle, l'Anthropologie du Geste, qui étudie le rôle du geste et du rythme, dans les processus de la connaissance, de la mémoire et de l'expression humaine. Cette science vise à opérer une synthèse entre disciplines diverses: psychologie, linguistique, ethnologie, psychiatrie, sciences religieuses et exégétiques, pédagogie profane et sacrée... ». (Cfr www.jesuites.com/actualites/archives/2002/jousse.htm). L'anthropologie joussienne est basée sur le mimisme humain. L'homme ainsi compris est un "animal mimans", un "anthropos mimeur". C’est un complexus de gestes caractéristiques ou transitoires, propositionnels ou interactionnels. L’anthropos est geste qui est un mouvement corporel significatif conduisant à l'intussusception. I. QU’EST-CE L’ANTHROPOLOGIE EPISTEMIQUE ? Une lecture épistémologique de l'Anthropologie du Geste (AG) nous conduit à une Anthropologie Epistémique (AE). Grâce au concept d’intussusception, l’AE procède de l’AG et fait d’elle une anthropologie philosophique et une épistémologie basées sur deux a priori, trois principes et un lieu théorique. 1.1. Deux a priori fondationnels L'unité métaphysique de l'anthropos et le primat de la perception sont deux a priori fondationnels de l’Anthropologie épistémique qui doivent être considérés, mutatis mutandis, comme des postulats ou des axiomes, mieux des préalables clarificateurs. Ce sont des points de départ, non pas chronologiques, mais logiques, puisqu’ils sont la raison explicative de l'anthropologie épistémique. L’objet de l’Anthropologie épistémique est l'anthropos mimeur qui est un composé humain, c’est-à-dire un être constitué d’un corps et d’un esprit. Il est unité ; une unité substantielle et vécue entre ce corps et cet esprit. Il est pareillement matière et esprit. Il est un esprit incarné qui connaît les objets au moyen de tout son corps. Cette théorie de l'a priori corporel et perceptif nous permet d'affirmer singulièrement que « je suis mon corps et que je suis ce corps-sujet qui se connaît et qui m'ouvre au monde et aux autres ». Selon cette conception, il ne peut exister une distance entre mon esprit et mon corps. Il n’y a pas d’écart ni d’espace entre moi et mon corps. L'anthropologie épistémique ainsi comprise est nécessairement phénoménale et non nouménale ; anthropologique et non métaphysique. La connaissance humaine, quoique noétique et noématique est une relation du sujet connaissant à l'objet connu, du cogitans au cogitatum, de l'ego à l'alter-ego. Ces a priori s'enracinent dans trois concepts (principes ou lois) anthropologiques principaux : le rythmisme, le bilatéralisme et le formulisme. * Professeur à l’Université de Kinshasa, faculté des Lettres et Sciences Humaines (Département de Philosophie) 2 1.2. Les principes de l’Anthropologie épistémique L’Anthropologie épistémique, en procédant de l’AG, se base sur trois notions principielles (lois anthropologiques fondamentales) desquelles débouchera l’intussusception. Le premier de ces principes est le rythmisme. (Cfr. AG, pp. 45-200). Le rythmisme situe l'anthropos dans le cosmos, dans un univers composé d’un complexus d'énergie pelotonnée. L'anthropos ne connaît que ce qu'il reçoit, enregistre, joue et rejoue par ses gestes récepteurs expressifs, globaux ou oraux Il est un microcosme conscient qui rejoue cinétiquement, mimographiquement et mimoplastiquement un macrocosme inconscient. Ce rejeu est triphasé selon le rythme propositionnel d'un agent-agissant-agi. La pensée et l'action sont gestuelles : l'une microscopique, l'autre macroscopique. Elles existent sur le mode "chosal" et sur le mode verbal. Aux origines, la parole et l'écriture étaient concrètes et "chosales". Elles se sont « algébrosées » à travers les millénaires sous l'effet d'autres principes également fondamentaux et universels : le formulisme et le bilatéralisme. Le bilatéralisme, deuxième principe de l’anthropologie épistémique, définit l'anthropos comme un être à deux battants. Placé au centre, il partage le cosmos selon sa structure bilatérale et corporelle du haut et du bas, de la gauche et de la droite, d'avant et d'arrière. La loi du bilatéralisme nous conduit à accepter que les gestes humains, conscients ou inconscients, tendent à se jouer et à se rejouer sans fin. Ils concourent d'eux-mêmes à une stéréotypie qui facilite l'expression grâce au formulisme, troisième principe de l’Anthropologie épistémique. Sur le plan pratique, le formulisme décrit les lois selon lesquelles les formules, petites unités linguistiques et sémantiques s'ordonnent et s'articulent entre elles. Le formulisme favorise l'apparition des chefs-d'œuvre de l'expression humaine, mais aboutit à la sclérose lorsqu’il est mal utilisé. Ces trois principes «causent» l'intussusception. ("Causer", selon le concept aristotélicien d'avoir une cause). 1.3. L’intussusception comme lieu théorique de l’anthropologie épistémique Etymologiquement, l'intussusception vient de deux termes latins : intus et suscipere qui signifient respectivement "dedans" et "amasser, cueillir ou prendre sur soi". Marcel Jousse emprunte ce terme très significatif à la biologie végétale et animale qui le définit comme étant « une propriété par laquelle les vivants s'accroissent en ingérant et en assimilant les aliments, contrairement aux minéraux qui le sont par addition ou par juxtaposition des parties ». L'intussusception est un mode d'accroissement particulier des êtres vivants. C'est une incorporation des éléments biologiques dans d'autres éléments également biologiques. L’AG en tant qu’AE, applique ce concept à la connaissance humaine. Par analogie, nous disons que la connaissance ne s'acquiert pas par addition ni par juxtaposition d'objets, mais par leur assimilation, grâce à un mouvement vers l'intérieur de l'homme qui en prend conscience. L'intussusception est donc « la saisie du monde extérieur (suscipere) porté à l'intérieur (intus), soit la compréhension ». Ce mot, cum-prehendere signifie comprendre ou prendre-avec, c’est intussusceptionner. Com-prendre, c’est d’abord prehendere, c’est-à-dire prendre, appréhender, saisir. On ne comprend qu’à la condition d’avoir pris, d’avoir saisi quelque chose à comprendre. Comprendre c’est saisir, c’est prendre. Il ne suffit pas d’avoir pris pour avoir compris. En effet, pour comprendre, il faut cum prehendere, c’est-à-dire prendre avec. Comprendre, c’est aussi lier et rattacher, c’est prendre avec soi, faire sien, assimiler et intussusceptionner, c’est être pris-avec, c’est se rendre, c’est se donner à la vérité qui se montre. (Cf. BONGO-PASI : 2002, 107-138) Avec l’intussusception, l'homme coïncide avec tous les gestes qui jaillissent de la nature et qui s’im-priment en lui. Tous ces gestes de la nature im-primés en lui seront ensuite ex-primés par lui. C’est cela l’intussusception. Elle est l’expression du monde qui s’est imprimé dans l’homme. 3 L’impression et l’expression du monde se réalisent conformément aux lois anthropologiques universelles. L'intussusception est un processus, mieux, une dialectique de l'im-pression et de l'ex-pression du monde par l'anthropos (cfr AG, p 52). L’Anthropologie épistémique, étude basée sur une analyse théorique de la science nouvelle inventée par Marcel Jousse, ouvre plusieurs pistes pratiques. II. APPLICATIONS DE L’ANTHROPOLOGIE DU GESTE Sur recommandation même du maître, nous allons relever quelques applications de l’AG relatives à la théorie de la connaissance2. Ces applications conviennent à l’AE3. 2.1. L’Association Marcel Jousse Dépositaire et garante de la pensée du maître, l'Association Marcel Jousse de Paris est l’unique cadre où se vérifie l'oeuvre de l’auteur dans son entièreté. Elle publie les Cahiers Marcel Jousse, organe de diffusion des idées du maître et organise différentes manifestations scientifiques et culturelles. Cette Association suscite en nous des projets de recherche inhérents à notre milieu et qui pourraient aboutir à la création d'un Institut d'anthropologie épistémique et d'une revue d'anthropologie épistémique. 2.2. L’Institut Européen de Mimo-Pédagogie Créé en vue d'étudier, d'approfondir et de prolonger la pensée du maître, l’Institut Européen de Mimo-Pédagogie, né de l’Institut de Pédagogie Rythmo-mimismo-logique, constitue un bel exemple d'application de l'Anthropologie du Geste et partant de l'anthropologie épistémique. Il part de l’expression joussienne "la pensée, c'est le geste" (AG : 128) 2.2.1. Objectifs de l’Institut Cet institut a pour objectifs l’enseignement, l'étude, la recherche et la formation scientifique, en vue d'un approfondissement et du prolongement des découvertes de Marcel Jousse, en liaison avec les recherches pédagogiques actuelles. L’Institut Européen de Mimo-Pédagogie utilise des mécanismes qui s'adressent à la globalité de l'être humain par l'utilisation du geste rythmo-mimismologique, bilatéral et formulaire. Cet objectif aboutit à la formation des formateurs susceptibles de transmettre la pensée de Marcel Jousse et de la mettre en œuvre dans les domaines relevant de toutes les sphères de la vie cognitive. Tous les formateurs et les élèves estiment que la connaissance humaine passe nécessairement par le geste tel que défini par Marcel Jousse. L'analyse de l'Anthropologie du Geste nous montrait que toutes les sciences sont humaines, reliées entre elles par un fondement : l'intussusception. L'intussusception n'est possible que par le corps et par la perception. L'homme acquiert toutes ses connaissances par le corps. Le corps humain est un élément pédagogique. Aussi cet Institut a-t-il un rôle essentiellement pédagogique. Les recherches, les études, les enseignements et la formation devront nécessairement débuter par un approfondissement de l'Anthropologie du Geste, véritable méthodologie pédagogique. Ceci n'est qu'une prise de conscience, théorique et pratique à la fois des fondements anthropologiques universels. 2.2.2. Sa structure organisationnelle L’Institut Européen de Mimo-Pédagogie organise trois laboratoires scientifiques4. Tous ces laboratoires sont complémentaires et ont une visée pédagogique, c'est-à-dire qu'ils sont des lieux d'études, de recherches théoriques et appliquées pour l'apprentissage. Chaque laboratoire a un objectif spécifique. Conformément aux travaux de Marcel Jousse, les trois laboratoires de l’Institut Européen de Mimo-Pédagogie sont basés sur les trois lois anthropologiques, universelles ou principes de l'anthropologie épistémique et sur son lieu théorique. Il s'agit d'un laboratoire de pédagogie chosale, d'un laboratoire de pédagogie globale et d'un laboratoire de pédagogie différentielle. 4 Partant de ces objectifs, nous sommes heureux de constater que les études et les recherches dans ces laboratoires ont deux volets. D'une part, une étude théorique basée sur l'intussusception, sur les lois anthropologiques universelles ou principes de l'anthropologie épistémique et sur ses présupposés. L’Anthropologie du Geste est la base de cette théorie. D'autre part, toutes les recherches aboutissant à une partie pratique. 1° Le laboratoire de pédagogie chosale Partant de l’Anthropologie joussienne, nous constatons que dans les trois laboratoires de l’Institut Européen de Mimo-Pédagogie, le corps et la perception sont présupposés pour la connaissance. Dans le premier laboratoire, l'homme sera considéré comme un être qui joue avec tout son corps pour connaître5. Les activités de ce laboratoire se résument ainsi : 1. L'intussusception signifie que l'anthropos est un être qui "joue avec tout son corps" ; 2. L'intussusception place le mimisme au centre de la connaissance ; 3. L'intussusception tient compte du globalisme et de la présence et du contact avec réel ; Il s'agit là d'une pédagogie chosale qui part de cette affirmation d'Aristote, reprise par Marcel Jousse : "L'homme est le plus mimeur des animaux et c'est par le mimisme qu'il acquiert toutes ses connaissances" AG : 55)6. Dans cette citation Marcel Jousse remplace le terme imitation par un mot nouveau : le mimisme7. L'une de plus grandes découvertes de Marcel Jousse est certes la loi du mimisme qui procède en trois temps8 : 1. «L'enfant reçoit par les gestes de tout son corps, instinctivement mimeur, les actions caractéristiques et les actions transitoires des êtres animés du Monde extérieur. En face du mimodrame perpétuel de l'univers, le "composé humain" fait de chair et d'esprit, se comporte comme un étrange miroir sculptural, infiniment fluide et sans cesse remodelé ». 2. «L’enfant enregistre gestuellement ce mimodrame universel aux cent actes divers, à la manière d'un film plastique, vivant et fixateur. Il devient sans le savoir un complexus de mimèmes ou gestes mimismologiques, intussusceptionnés. Leur richesse s'accroît à chaque intussusception nouvelle ». 3. «L'enfant rejoue mimismologiquement par les gestes de tout son corps et surtout par les gestes de ses mains innombrables, les phases de chaque interaction de l'Univers. Ce qui se fait physiquement et inconsciemment dans l'univers, se refait psychologiquement et consciemment dans l'enfant». (Jousse, 1935 : 1, cité par Beaupérin : 1994 : 4). Il y a là une exigence de présence au réel et de globalisme corporel, d' autant plus vrai que pour Marcel Jousse, " La connaissance réelle, profonde, ne se fait pas en s'installant dans l'objet, ce qui est impossible, mais en installant les gestes de l’objet en soi, ce qui est parfaitement possible. C'est la seule façon objective de connaître" (Jousse, Sorbonne, 5, p.66, cité par Beaupérin, Idem). Pour Marcel Jousse, il faut qu'une chose soit vraiment insérée dans l'anthropos pour qu'il puisse réellement la connaître9. C'est cela l'intussusception qui, pour concevoir vraiment et objectivement doit recevoir au préalable cette chose. Elle est l'assimilation de l'objet par le sujet. Le sujet connaissant doit s'engendrer l'objet connu. Il doit revêtir une certaine ressemblance et renaître avec cet objet à connaître (cum-nasci). C'est par assimilation que se forme toute connaissance. En effet, «Toute connaissance, dit S. Thomas d'Aquin, a lieu selon la similitude du connu dans le connaissant" (S. Thomas, 1928 : 1 II c, LXXVII, cité par Beaupérin, Idem). D'autre part, nous pensons que le mimisme ne sert pas seulement à l'homme à décrire la chose par les gestes de tout son corps. Il est le devenir de cette chose elle-même. C'est ce que dit Marcel Jousse, citant Kleutgen dans sa Philosophie scolastique : «...il est impossible que l'intelligence s'approprie l'objet selon son être physique; elle ne peut donc le posséder qu'en l'imitant, [en le mimant] et en le reproduisant 5 en elle-même d'une manière qui réponde à sa propre nature, ou en l'engendrant en quelque sorte" (Jousse : SO, 1981 : 68-69). Dans le laboratoire de pédagogie chosale, il est donc essentiel de "...s'installer en face des choses jusqu'à ce que les choses s'installent en soi. La pédagogie qui prétend transmettre la connaissance des choses doit être pour Marcel Jousse, une pédagogie chosale. C'est une pédagogie en contact avec le réel où, l'appreneur est maintenu en face des choses pour qu'il les reçoive par ses yeux, ses oreilles, son nez, sa bouche, ses mains. Cette pédagogie repose sur l'intuition que seul le réel est formateur. Marcel Jousse fut un rural et un paysan en contact direct avec le réel. Il lui fut facile de créer une telle pédagogie" (Beaupérin, Idem, 5). En suivant cette logique, les mots ne donnent pas la connaissance. Ils ne sont que des étiquettes. Ils peuvent être vides de réel. Seule l'intussusception, collée au réel est donneuse de sens. La mimo-pédagogie préconisée par Marcel Jousse et reprise par l’Institut Européen de Mimo-Pédagogie, doit toujours être une pédagogie chosale et non verbératrice. Pour qu'elle soit efficace, il faudra tenir compte aussi bien de l'enseigneur que de l'appreneur10. L'appreneur devra s’astreindre tout d'abord à regarder les faits avant d'entrer dans les livres. Un enfant qui aura manipulé les mimèmes des choses pendant plusieurs années aura une formation scientifique et une méthodologie montées en lui plus fortement que dans ce qu’on lui donne habituellement. La garde pédagogique de l'enfant doit se faire en face des choses avant de le jeter dans les mots. Tout être humain, enfant ou adulte, est en quelque sorte transcendant à lui-même. Il ne se réduit jamais à ce qu'il est dans le moment présent. Cette transcendance est toujours en nous et non hors de nous. Jean Lacroix écrit, après Levinas, qu'il est de la nature de l'homme d'être enseigné. Pour lui, "l'enseignement, c'est la marque même de l'extériorité, l'extériorité qui pénètre en moi... Je suis enseigné, c'est-à-dire que la vérité survient d'ailleurs, même si j'en suis susceptible ou capable : l'enseignement signifie tout l'infini de j'extériorité" (Lacroix, 1970 : 122-123). Nous pensons, avec Y. Beaupérin et à la suite de Marcel Jousse, que les enseigneurs doivent être des éveilleurs des mimèmes. Le monde éducatif n'est pas un monde verbal, mais chosal. Il est un monde qu'on doit observer et intussusceptionner avec tout son être. La pédagogie scolaire doit être à tout moment un «drame » : faire voir, faire sentir et faire toucher11. Pour Marcel Jousse, un homme qui enseigne, un enseignant, un professeur, doit toujours être un auteur dramatique. Il ne donne pas des idées comme on administre des pilules. On ne saurait prendre des idées dans sa tête et les placer dans la tête d'autrui. " Il faut précisément, dit Marcel Jousse, que mon auditeur soit également mon spectateur et que tel geste que je fais trouve sa répercussion en lui... Quand l'être tout entier du professeur s'exprime, en écho mimeur, l'être tout entier du spectateur se donne obligatoirement aussi. Il y a une lutte terrible entre l'auditoire et le professeur». (Jousse, Notes des cours, Sorbonne, 6ème cours, p. 267, cité par Beaupérin, 1994 : 7). Marcel Jousse nous offre plusieurs exemples, tirés de la littérature palestinienne, d'un professeur/appreneur. Celui-ci rejoue Elohim, l'omniscient. Il jette, comme Elohim hors de lui, la connaissance qu'il a en lui en s'écriant, "que soit hors de moi, ce que j'ai en moi». Ecoutons Marcel Jousse : "Et s'il est fort, s'il est véritablement le grand gesticulateur et le grand créateur, voilà la chose est en dehors de lui. Si bien que je pourrai dire que l'idéal du professeur parmi nous c'est, non pas la création- hélas, nous sommes trop limités pour créer- mais c'est le rejeu de la grande gesticulation primordiale». (Jousse, Notes des cours, Sorbonne, 6ème cours, p. 267, cité par Beaupérin, 1994 :7). Cette idée est particulièrement géniale au sujet de l'université. L'université, dit Marcel Jousse, devra être une université des gestes. Pour être un grand docteur dans une université, enseignant l'univers, Marcel Jousse estime qu'il faut trouver la possibilité de faire marcher les choses devant nous. Et ne pouvant pas les créer hors de nous, nous sommes obligés de les créer dans une université des 6 gestes12. Ainsi décrit, le laboratoire de pédagogie chosale consacré à l'anthropologie des choses et du réel rejoint les préoccupations de l'anthropologie épistémique. 2° Le laboratoire de pédagogie globale Le laboratoire de pédagogie globale étudie l'intussusception au moyen du jeu et du rejeu que l'homme fait avec tout son corps13. Les activités de ce laboratoire se résument ainsi : 1 .L'intussusception est un mécanisme anthropologique qui consiste à "Jouer et rejouer avec tout son corps"14. 2. L' anthropos est un être irradiant. 3. L'intussusception est un mécanisme anthropologique par lequel on va au réel avec tout son corps. 4. L'intussusception écarte toute dichotomie "corps-esprit" dans l'anthropos. Dans ce cas, Marcel Jousse utilise le concept global. L'anthropos est un être global. Son intussusception est basée sur le globalisme. En effet, pour « intussusceptionner », c’est-à-dire saisir le monde extérieur (suscipere) porté à l'intérieur (intus), ou comprendre, l'Anthropos doit être considéré comme un "Composé humain". Il y a en lui une unité ontologique et métaphysique. Il est un. Il n'y a pas de dichotomie "corps-esprit" en lui, car "L'anthropos, dit Y. Beaupérin, ne peut se découper. Cela veut d'abord signifier que l'Anthropos ne peut se découper en corps, âme et esprit; en volonté, sensibilité, imagination, intelligence. ...; en physique, psychique et spirituel; en conscient et inconscient" (Beaupérin : 1994, 8). Toute l'Anthropologie du Geste de Marcel Jousse montre que l'Anthropos est un " composé humain" .En effet, "l'anthropos est un être irradiant. L'anthropos est également un être global parce qu'il est un être irradiant. Ce que Marcel Jousse appelle jeu et rejeu, sont des mécanismes irradiants" (Beaupérin : 1994). D'autre part, Marcel Jousse estime qu'" Un mécanisme microscopique s'amplifie et demande à s'amplifier. Ce qui est en moi joue à travers tout mon corps. C'est cela le globalisme et la globalisation. C'est cela que nous appelons aujourd'hui : amplification, irradiation" (Jousse, EA, cité par Beaupérin : 1994). L’Anthropologie du Geste, spécialement sa partie épistémique prône l'intussusception comme lieu théorique. La connaissance est humaine et se fait d'une façon globale. Car, "tout ce qui se joue dans l'anthropos irradie dans tout son corps : on voit, on entend, on sent, on goûte avec tout son corps. Tout ce qui joue et rejoue, joue et rejoue avec tout le corps. On pense, on parle avec tout son corps" (Beaupérin : 1994). Ainsi, dans les mécanismes d'apprentissage, "tout ce que l'enfant intussusceptionne tend à s'irradier dans tout son corps15. L'enfant vous regarde, mais ce que son œil reçoit irradie tellement que, lorsque vous avez le dos tourné, il vous mime par tout son être mimeur. Il n'y a qu'à regarder tel élève : on sait qu'il est l'élève de tel professeur, tellement son irradiation joue. C'est cela qui est intéressant. C'est là tout le mécanisme qui va vous donner la Mémoire. Irradiation globale, irradiation manuelle et orale" (Jousse, Sorbonne. cité par Beaupérin : 1994). Pour Marcel Jousse, tous les mimèmes, oculaires, pituitaires, manuels, buccaux, auriculaires s’irradient à travers l'être tout entier. Les maladies mentales sont en général des maladies de la gesticulation globale. L'anthropos ne doit jamais être conçu comme un éparpillement du système. Il est toujours une unification pensante16. Dans cette perspective, la pédagogie de style global est différente de la gestion mentale d'Antoine De la Garanderie (1993). Pour Y. Beaupérin, Antoine De la Garanderie, "...a élaboré sa Gestion mentale à partir de l'observation d'élèves qui réussissent, c’est-à-dire d'élèves assez doués pour avoir totalement intériorisé le globalisme17. Du coup, pour De La Garanderie, tout se passe "dans la tête". On revoit "dans sa tête", on re-entend "dans sa tête". L'irradiation n'est pas prise de 7 conscience et semble méconnue. Du coup, elle n'est pas travaillée ; ce qui n'est pas sans dommage aussi bien pour les élèves en difficulté que pour les autres" (Beaupérin : 1994). Il y a comme un aveu implicite de globalisme, sous la plume des disciples De La Garanderie, à travers la reconnaissance de l'existence de ce qu'ils appellent les évocations "auto" visuelles et auditives18. Dans une remarque, ils pensent que "les évocations appelées "auto" visuelles et auditives, imposent un même besoin de personnalisation et de réappropriation du message ou des données perceptibles reçues. Ceux qui le pratiquent ont besoin de refaire les choses eux-mêmes. Ils évoquent d'une façon plus "subjective", c'est comme s'ils étaient, en quelque sorte, plus impliqués dans leurs évocations. C'est une autre manière de fonctionner mentalement", (Collectif, cf. De La Garanderie, 1991 : 32-33, cité par Beaupérin : 1994 : 10). L’Anthropologie du Geste en tant qu’épistémologie est une anthropologie épistémique. Pour elle, on rejoue et on va au réel avec tout son corps. Un des programmes du laboratoire de pédagogie globale estime qu' "on ne voit pas qu'avec ses yeux, mais aussi avec ses oreilles, son nez, sa langue, ses mains et tout son corps. Il en est de même pour chaque sens. De même un jeu visuel peut se rejouer auditivement et vice-versa. On va au Réel avec tout son corps. Le Réel en effet, est lui-même global et se présente à nous simultanément sous forme des choses à voir, à entendre, à sentir, à goûter, à toucher, ...Les infirmes nous confirment ce globalisme du Jeu et Rejeu parce que le fait d'être privés d'un organe leur nuit beaucoup dans les Jeux et Rejeux par les autres organes. Gabrielle Baron qui avait perdu l'audition à la suite d'une chute sur la face, me confiait souvent son handicap, du fait de cette surdité, dans tous ses autres rejeux. Au Laboratoire, il y avait une élève malvoyante. A une autre élève qui lui rapportait l’affirmation classique : "Les aveugles ont une oreille très développée", elle répondit, d'un ton légèrement agacé, où se lisait sa souffrance : "II n'en est rien ! Le fait de mal voir rend l'écoute difficile"" (Beaupérin : 1994, 10-11.) Le laboratoire de pédagogie globale tire sa substance de l’Anthropologie du Geste de Marcel Jousse. En étudiant l'Anthropos, il met en exergue le problème métaphysique de l'un et du multiple cher à Parménide, à Aristote, et à Platon19. L’approche globale du réel de l’Anthropologie du Geste est aussi confirmée par les découvertes des neurosciences sur le fonctionnement cérébral pour qui, " ...Généralisation et spécialisation, synthèse et analyse, globalisation et particularisation sont les deux pôles non pas successifs et découpés, mais simultanés du fonctionnement cérébral. Il semble bien que la perception visuelle ou auditive fonctionne selon ses deux pôles» 20. Pour expliquer le fonctionnement en deux pôles de notre perception, Y. Beaupérin cite ce passage de Gabriel Racle dans son ouvrage "La pédagogie interactive" : "La rétine traite les informations reçues de deux manières différentes et complémentaires. Sa partie centrale... est orientée vers le détail, et son champ visuel est très restreint : en gardant un mot de cette page, on peut tracer les contours des mots perçus avec netteté. La partie périphérique de la rétine donne au contraire une vue générale qui ne précise pas les détails. Ces deux modes de perception analytique et synthétique se complètent parfaitement et nécessairement. La seule vision analytique ne permettrait pas d'évaluer ou seulement à l'aide d'incroyables manœuvres" (Racle, 1983 : 61, cité par Beaupérin : 1994 : 11). La récitation rythmo-pédagogique de Marcel Jousse fait appel à un apprentissage moteur complexe. C'est au cours de cet apprentissage qu'il y a adéquation entre la pédagogie et le mode de fonctionnement cérébral21. Y. Beaupérin, dans son étude déjà citée, observe que les applications de l’Anthropologie du Geste font aussi appel à la théorie des structures dissipatives. Il pense que "Le bien-fondé et l'efficacité du globalisme de la récitation rythmo- pédagogique de Marcel Jousse sont également justifiés par la théorie des structures dissipatives d'Illya Prigogine (prix Nobel de chimie en 1977) appliquées à la pédagogie par un autre chimiste-physicien, Katchalsky" (Beaupérin : 1994 : 12). Cette intéressante théorie décrit comment l’ordre se crée dans le monde et comment fonctionne 8 notre cerveau. Pour Gabriel Racle, "Notre cerveau est un magnifique exemple de structure dissipative. Bien que ne pesant que 2 % du poids du corps, il consomme à lui seul près de 20% de l’oxygène utilisé par notre corps. Et c’est sans doute pourquoi un autre chimiste-physicien, A. Kaltachsky a fait le rapprochement entre les théories de Prigogine et les mécanismes cérébraux, et s’ouvre ainsi la porte à la pédagogie. Apprendre n’est rien d’autre que passer d’un certain modèle à un autre plus complexe. Pour qui parle le français, apprendre le finnois, c’est mettre en place d’autres structures permettant au cerveau de fonctionner dans cette langue. Il faut donc perturber l’ordre établi et créer un ordre nouveau, … Pour créer un ordre nouveau, il faut donc introduire la fluctuation qui est la voie vers l’évolution. Plus la fluctuation sera ample, plus l’ordre nouveau aura la chance de se mettre en place. Et ceci explique peut-être pourquoi les cours des langues en saupoudrage (quelques périodes par semaine pendant des mois et des mois) donnent si peu de résultats, alors qu’une approche interactive (beaucoup en peu de temps) donne de si bons résultats" ( Racle, 1983 : 65-66, cité par Beaupérin, 1994 : 12. ) La récitation rythmo-pédagogique est conforme au fonctionnement cérébral, car elle fait travailler les deux hémisphères en synergie22. La connaissance et l’intussusception sont tributaires de ces lois de la nature23. Les études actuelles démontrent la globalité pédagogique. La pédagogie ne peut pas ignorer les travaux des sciences neurologiques. On parle même de neuro-pédagogie. En effet, dans l’acte de la connaissance, les deux hémisphères cérébraux n’ont pas les mêmes fonctions. Ces hémisphères travaillent en synergie24.Une étude intéressante de Betty Edwards cité par Yves Beaupérin établit une comparaison entre les caractéristiques modales des hémisphères droit et gauche du corps humain. Sur le tableau ci-dessous, nous remarquons clairement cette séparation entre deux hémisphères dans les mécanismes de la connaissance. Les deux hémisphères s'opposent et se complètent : analyse et synthèse, langage et pensée non verbale, raison et intuition. Des nombreux auteurs ont établi ces dualités. Voici un exemple : « COMPARAISON DES CARACTERISTIQUES MODALES DES HEMISPHERES DROIT ET GAUCHE (*) GAUCHE DROIT Verbal : utilisant les mots pour nommer, décrire et Non verbal : conscience des choses mais. connexion minimale définir avec les mots. Donne le ton à la voix (stimulation verbale) Analytique : découvrant les choses étape par étape et Synthétique : plaçant les choses ensemble pour former des élément par. élément touts. Symbolique : utilisant un symbole pour remplacer Analogique : voyant les liens entre les choses, comprenant une chose. métaphores. Concret : rattaché avec les choses comme elles sont Abstrait : extrayant une information et s'en servant pour au moment présent. représenter un tout. Temporel : gardant la trace du temps, organisant les Atemporel : aucun sens du temps choses séquentiellement et les exécutant dans l'ordre. Rationnel : tirant des conclusions fondée sur des faits Non rationnel : n'a pas besoin des faits et des raisonnements : et un raisonnement propension à ne pas juger. Numérique ou digital : utilisant les nombres et leur Spatial : voyant où les choses sont en relation avec d'autres et mode d'emploi comment les parties forment un tout Logique : tirant les conclusions fondées à partir d’une Intuitif : procédant par bonds, à. d'impressions, de sentiments, organisation logique d'images visuelles, d'éléments d’information Linéaire : pensant en termes d'idées reliées, pensée Global : percevant des ensembles. associations des parties, convergente conclusions divergentes" (*) D'après Betty Edwards, Drawing on the right side of the Brain, éd. J.-P. Tarcher, Los Angeles, 1979." (Cité par Beaupérin, 1994 : 18). 9 On voit le bilatéralisme joussien et la répartition des tâches conformément à la structure (même interne) du corps. Ce bilatéralisme entraîne un rythmisme et un formulisme. Le rythme en découle nécessairement et le formulisme se dégage comme une pièce de dominos. La littérature orale africaine que nous présenterons plus loin, utilise justement ces mécanismes mnémotechniques pour s’élaborer. Dans le cadre de l'anthropologie épistémique, la synergie se réalise de deux manières dans la récitation : par le caractère synthétique-analytique du travail de l'apprenage et par homorythmie : "Le travail de l'apprenage, dit Y. Beaupérin, est synthétique-analytique. En effet, on ne fait pas apprendre d'abord le texte, puis la mélodie, puis le geste et le balancement. On donne tout ensemble d'abord quitte ensuite à travailler à part tel ou tel élément. De même, on fait apprendre schème rythmique par schème rythmique que l'on l'imbrique ensuite progressivement. L'homorythmie de la récitation est la coïncidence des explosions énergétiques du balancement corporel, du geste corporel-manuel et du geste laryngo-buccal" (Beaupérin : 1994, 17). Le laboratoire de pédagogie globale offre ainsi des mécanismes d'une intussusception et d'une connaissance certaines. Ces mécanismes font appel à toutes les ressources corporelles des appreneurs. 3° Le laboratoire de pédagogie différentielle L'anthropos joue et rejoue la différence. Le troisième laboratoire de l'Institut de Pédagogie Rythmo-mimismo-logique se base sur les principes suivants : 1. L'intussusception est possible si l' anthropos sait jouer et rejouer la différence ; 2. L'intussusception se fait naturellement à travers les jeux spontanés des enfants. L'intussusception est basée sur le geste caractéristique de l'homme. Les lois anthropologiques sont certes universelles, mais chaque anthropos les rejoue à sa manière. Pour Marcel Jousse, "jeux et rejeux oculaires, auriculaires, olfactifs, pituitaires et tactiles sont strictement individuels. Il n'y a pas d'enfant ou d'homme, en général. Chacun a son type de jeux et de rejeux personnels, ainsi d'ailleurs que ses propres centres d'intérêts" (Beaupérin : 1994). En pédagogie différentielle, ainsi que d'ailleurs dans toute pédagogie, chaque appreneur se spécialise individuellement. La spécialisation des jeux et rejeux de l'appreneur doit être spontanée et conforme à son centre d'intérêt. Marcel Jousse nous dit qu'il n'est pas évident que tous les appreneurs prêtent attention aux mêmes choses. Un tel prêtera son attention davantage aux choses vues, un autre aux choses entendues, un troisième aux choses touchées, senties, goûtées ou maniées25. Dans le même cours précité, Marcel Jousse recommande en ces termes aux pédagogues d'être attentifs à la spécialisation spontanée et naturelle qui peut se révéler très tôt chez l'appreneur. Pour lui, "L'éducateur doit connaître la psychologie différentielle. Nous avons fait une psychologie générale : "l'homme est ceci, cela", mais l'HOMME n'existe pas ! Il y a chaque homme... Nous n'avons pas non plus l'enfant en général. C'est une psychologie impossible. Elle peut être générale, elle doit être adaptée à chacun" (Jousse, cité par Beaupérin : 1994, 19). En outre, Marcel Jousse estime que devant une même tâche, chaque appreneur s'orientera vers un objet et une matière de sa préférence. Même dans les exercices dirigés ou travaux pratiques, on peut remarquer cette même préférence qu'il faut encourager. La spécialisation fait l'originalité de chacun et de chaque travail. La spontanéité ne doit pas être confondue avec la licence. Un pédagogue averti, un éducateur digne de ce nom, discernent facilement la spontanéité de son élève qui conduit à des oeuvres originales à côté de la licence qui détruit la prise de conscience. Marcel Jousse nous rappelle cela dans ce passage : "Toujours nous aurons à subir des contraintes ; Mais il faut que l'éducateur puisse délier ces contraintes durcies et inhibantes et faire une surveillance plus souple, plus maternelle et plus attentive,…L'enfant ne doit pas être enrégimenté, il doit être éduqué dans le 10 beau sens étymologique du terme : ex-ducere = sortir de lui-même. Ne pas avoir autant de petites formules stéréotypées et étriquées, mais autant d'êtres individuels, profondément individuels, j'allais dire : génialement individuels" (Jousse cité par Beaupérin : 1994). Dans un autre passage, Marcel Jousse recommande à l'éducateur de ne pas user des méthodes rigides et stéréotypées pour ses appreneurs26. Il fera appel à une méthode souplement rythmique, gestuelle et globale. C'est une méthode, dira-t-il, qui sera adaptée à la gesticulation de l'appreneur : gestes oculaires, auriculaires, pituitaires, laryngo-buccaux, manuels, corporels (la mimique). Il fait de cet appreneur une statue innombrable et malléable, capable de s'adapter à chacune des situations que la vie nous pose et nous propose. Pour bien expliquer la pédagogie différentielle, Y. Beaupérin passe par la spécialisation qui se fait suivant la loi d'intérêt des appreneurs27. Le professeur doit être en face de ses élèves comme un statuaire en face de la glaise. De la sorte, l'auditoire devient vivant et varié. Chaque auditoire, comme chaque auditeur, ne peut être étiqueté. Il doit être considéré personnellement et nommément. Car il présente des préoccupations particulières. Cependant, si un tel s'intéresse à ceci, tel autre à cela, comment faire pour rallier tous les intérêts ? Le professeur doit être assez puissant et infiniment souple. Il saura comment s'insérer dans chaque zone d'intérêt et en faire la synthèse.28 Dans un bon enseignement, les élèves instruisent aussi le maître, implicitement, inconsciemment, parfois sans le savoir. L'intussusception se fait dans les deux sens. Le maître est mangé ainsi que sa leçon par les élèves. Le maître les instruit en ayant soin de s'être bien in-formé à cette tâche. Un bon professeur, dira Marcel Jousse, - et il en fut un -, "n'est pas celui qui assène aux autres ses idées"29. Il est "...essentiellement un éducateur, c'est-à-dire, celui qui tire hors de chaque auditeur ce que chaque auditeur a en lui. Voilà la grande différence de l’enseignement tel que je le conçois avec un enseignement tel que je l’ai reçu et tel qu'on nous le donne. Un professeur est celui qui se fait instruire par ses élèves autant qu'il les instruit. L'initiateur, c'est celui qui suscite des créateurs dans chacun et dans chacune de ceux qui veulent bien se soumettre à cet étrange réveil" (cité par Beaupérin, 1994 : 20). Pour Marcel Jousse, l'intussusception doit se faire dans la simplicité. Un professeur-éducateur, dira-t-il est un être simple : " Il sera forcément simple quand il maniera les choses. Et il sera clair, parce que l’obscurité vient généralement des mots et peu des choses. Les choses quand elles sont montrées. ..., c’est extrêmement clair parce que les faits, vous les avez en vous. Il suffit de vous les faire prendre en conscience" (Jousse, S. 1954, cité par Beaupérin : 1994). Nous remarquons une bonne prise en charge de l'intussusception par le laboratoire de pédagogie différentielle. Il privilégie la spontanéité et le centre d'intérêt de l'appreneur. Une telle pédagogie conduit nécessairement à la spécialisation, c’est-à-dire à un domaine bien précis de la science. D'une façon générale, l'intussusception est différentielle. Elle s'assimile réellement et perdurablement d'une façon individuelle. Une pédagogie différentielle respectera les individualités dans leur fonctionnement gestuel et leur centre d'intérêt, tout en aidant les individus à ne pas négliger les différentes potentialités. Les trois laboratoires décrits ici ont en commun la pédagogie de la mémoire. Ils visent une pédagogie susceptible de faire passer l'homme de l'ignorance à la connaissance, du moins connu au plus connu. Ils privilégient l'intussusception qui utilise la mémoire, la reconnaissance, le rythmisme, le bilatéralisme et le formulisme comme adjuvants. Ils mettent à la portée des appreneurs, appelés à devenir des formateurs, des mécanismes mnémotechniques qui facilitent la connaissance du réel30. 2.3. Les communications sociales Le domaine des médias modernes s'est admirablement développé aujourd'hui. Il correspond, à maints égards, aux intuitions joussiennes sur l'intussusception. Tous les moyens de communication sociale (la presse, le cinéma, la radio, la télévision, le théâtre, ...) ainsi que tous leurs supports tels 11 que l'ordinateur, le téléphone, le téléfax, le télex, l’Internet, etc., sont des adjuvants pour la mémoire et l'intussusception31. Dès lors, deux hypothèses peuvent être dégagées dans l'utilisation de ces moyens médiatiques. L'information médiatique procure-t-elle la vérité et conduit-elle à une véritable intussusception 32? En outre, tous les moyens médiatiques, avec leurs mémoires artificielles, leurs banques de données interchangeables à loisir, leurs nouveaux matériaux et leurs possibilités électroniques, peuvent-ils remplacer l'intelligence, la mémoire et l'intussusception humaines ? A la suite de Marcel Jousse, ne pouvons-nous pas rechercher une nouvelle forme d'oralité ? L’Institut d’Anthropologie Epistémique se propose de développer ces hypothèses, en se basant sur la différence qui existe entre ces trois genres de style : "le style parlé", "le style oral" et "le style écrit"33. Pour Marcel Jousse, "Le Style parlé (ou langage oral) est individuel. C'est le style de la conversation du discours adressé à des auditeurs…Le style oral (conservé dans des mises par écrit) est traditionnel. Le style oral, construit pour être retenu par simple audition, récité et transmis de mémoire, obéit à des lois mnémoniques et à des procédés traditionnels. Le style écrit, en usage parmi nous, est, il faut l’avouer, un moyen d'intercommunication extrêmement pratique. Et quand une maison d'édition se charge de sa publication, une étude peut atteindre des quantités de lecteurs. Il ne s'agit plus ici d'auditeurs ni d'appreneurs choisis, mais d'un nombre indéfini de lecteurs, même inconnus" (Jousse, 1991 : 7). Les médias modernes développent ces trois types de style qui peuvent atteindre un grand public34. Le concept d'oralité devient ainsi très large. Il embrasse la typologie joussienne de "oral", "parlé" et "écrit". P. Zumthor propose quatre espèces idéales d'oralité (Zumthor, 1983 : 36) : 1 ° Une oralité primaire Celle-ci est dite immédiate et pure, sans contact avec l'écriture35. Cette forme d'oralité concerne les survivances et les reliques culturelles encore attestées dans un certain nombre de sociétés humaines36. On retrouve cette forme d'oralité dans les sociétés graphiques et dans celles où prédomine l'usage de la parole. Elle est élaborée au moyen des genres littéraires (épopées, tragédies, récits, romans, poésie, chants, danses, contes, proverbes, etc...) dont le mécanisme d'ordrage et du comput relèverait d'analyses comparables à celles opérées par Marcel Jousse dans le milieu ethnique palestinien37. Les deux autres formes d'oralité coexistent avec l'écriture. Cette coexistence peut fonctionner de deux manières : l'oralité mixte et l'oralité seconde. 2 ° L'oralité mixte L'influence de l'écrit y est externe, partielle et retardée38. F. Reumaux note certains traits de cette oralité qu'on retrouve notamment dans les nouveaux contes. Pour lui, "C'est à mi-chemin, entre les modalités de la tradition orale et celles de la tradition écrite que se situent curieusement, les retours proposés dans les nouveaux contes" (Reumaux, 1 986 : 35-36). Ces contes peuvent être publiés. Dans ce cas, un conteur qui publie, demeurent-t-il encore un «conteur» à côté de son texte écrit ? 3 ° L'oralité seconde Elle se re-compose à partir de l'écriture et au sein d'un milieu où celle-ci prédomine sur les valeurs de la voix dans l’usage et dans l'imaginaire. Contrairement à l'oralité mixte, l'oralité seconde procède d'une culture où toute expression est marquée par la présence de l'écrit. En effet, "il s'agit, par exemple de pièces de théâtre composées par des auteurs plus ou moins célèbres, apprises, répétées et exécutées par des acteurs (professionnels ou amateurs), -de liberté gouvernant la production des opéras -, de poèmes appris dans les livres et récités ‘par cœur’; etc..." (Pairault, 1987 :31). Cette oralité est basée sur les lois joussiennes de l'oralisme-globalisme où la pensée sauvage ou domestiquée crée des formules39. Elle est à sens unique, orientée de l'émetteur vers le récepteur40. 12 Les spectateurs/auditeurs participent passivement. Leur intervention se borne seulement aux applaudissements de la fin41. 4 ° L'oralité mécaniquement médiatisée Elle est différée dans le temps et/ou dans l'espace. En effet, l'oralité médiatique passe par les médias imprimés et électroniques. La communication n'est pas seulement réciproque ou unidirectionnelle, mais plutôt rétroactive. La loi du triphasisme de l'agent-agissant-agi retrouve un exercice alternatif. Après avoir agi, l'agent devient agi par l'agi, lequel se transforme à son tour en agent. L'échange dialogué se transforme souvent en interaction marchande entre les producteurs et les consommateurs42. L'oralité médiatisée peut promouvoir ou compromettre la vie du style oral43. L’Institut d’Anthropologie Epistémique étudiera toutes ces questions relatives à l'oralité selon Marcel Jousse. Il devra souligner l'importance du globalisme et du corporalisme dans l'étude des oeuvres médiatiques relatives à la communication sociale. La communication sociale peut être étudiée sous d'autres aspects qui ne sont pas mentionnés ici et qui sont en rapport avec l'oeuvre de Marcel Jousse. 2.4. La littérature orale traditionnelle Une deuxième application de l'Anthropologie épistémique pourrait constituer un projet de recherche et d'étude sur la littérature traditionnelle africaine, spécialement la littérature orale. Il y aurait une sorte de résurrection de la tradition de style oral qui ne doit pas seulement être placée dans le folklore sans plus. La littérature orale africaine et congolaise en particulier est fort riche et répond à des normes précises qui ne sont autres que les lois anthropologiques universelles exposées par Marcel Jousse. On peut se poser la question de savoir pourquoi les genres littéraires oraux connaissent une certaine pérennité ? Quelles sont les lois qui les régissent ? Marcel Jousse s'est préoccupé de cette question dans toute son oeuvre. Il affirme, en citant Rattray, qu’ : "il existe chez eux (Achantis d'Afrique) une caste d'historiens de profession qui racontent les hauts faits des rois en schèmes rythmiques qu'ils chantent sur des mélodies spéciales qui varient avec chaque règne… Chaque récitateur a un certain nombre de disciples auxquels il enseigne sa récitation, mot par mot, et la mélodie appropriée, note par note, tout danger de mutilation ou de corruption est évité par ce fait que le récitateur, une fois admis dans la caste, est puni de mort à la moindre faute soit dans le texte, soit dans la notation. Le résultat de ce système est que les récitations composées depuis plus de huit cents ans nous sont parvenues intactes" (Jousse, 1924 : 1969). Nous pensons que le souci du mot à mot en littérature crée le style oral et la stylistique orale44. Nous constatons que ce style est basé sur les lois joussiennes45. Ce projet sera délimité non pas à la littérature africaine, mais plutôt à la littérature traditionnelle orale en général. Il ne s'agira pas d'écrivains qui ont composé des nouvelles, des romans, des contes, des autobiographies dans leurs langues maternelles en s'inspirant du modèle européen46. La littérature traditionnelle orale ainsi comprise est caractérisée par son mode de transmission, par sa structure formelle, par son contenu, par sa fonction et par sa forme47. Selon son mode de transmission, on peut distinguer l'art oral libre (le contenu appartient à la tradition, mais la forme est libre) et l'art oral figé (le contenu est transmis mot à mot). Selon sa structure formelle, on distingue l'art oral non formel, caractérisé par l'absence de règles poétiques et l'art oral formel, caractérisé par des éléments formels qui relèvent de la stylistique. Au niveau des emphases, on peut distinguer, selon la forme et le contenu, différentes sortes : emphase sur la forme (art oral de style lié), emphase sur la forme et le contenu (genres complexes) et emphase sur le seul contenu (genres simples non liés). Selon la fonction, cette littérature traite de récits de société et d'improvisation, 13 de récitations officielles, de la révélation de la tradition et de refrains figés. Les matières traitées par cette littérature sont les plus diverses : Dieu, esprit, mânes, magie, histoire, us et coutume. D'une façon générale, cette littérature s'organise en trois genres littéraires. Il s'agit de : 1° Genres simples non liés (prose) qui comprennent les mythes, les légendes et sagas, les récits historiques, les récits étiologiques et les récits esthétiques48. 2° Genres simples liés (poésie) qui sont composés des morceaux récités, morceaux chantés, morceaux dansés et morceaux télé communiqués49. 3° Genres complexes formés des chants dynastiques, des chants pastoraux, des chants guerriers, des chants claniques, du théâtre et de l'épopée. La littérature traditionnelle orale montre toute sa force d'intussusception et de mémorisation dans l'homme. Le corps humain est un instrument d'intussusception et de connaissance50. L’hypothèse de travail qui se dégage ici consiste à chercher comment l’homme (le griot, le narrateur, le sage, ...) parvient-il à connaître et à garder le souvenir de ce qu'il a connu. Cette littérature répond à des lois de fonctionnement qui correspondent, mutatis mutandis aux lois anthropologiques joussiennes et conduisent à l'intussusception. 1° Les genres simples non liés Les genres simples non liés ont quelque chose en commun : leur forme orale, c'est-à-dire leur style non lié, non caractérisé par des éléments formels. Cette liberté est plutôt une caractéristique négative, une absence de critères formels. Tous ces genres s'expriment dans le langage courant. Parfois, dans les récits historiques, on rencontre des archaïsmes. Lorsqu'on recherche une épithète commune à tous ces genres simples, on pourrait dire qu'ils sont tous narratifs, c'est-à-dire, qu’ils constituent ensemble la prose orale51. Nonobstant cela, tous ces genres obéissent à des lois épiques du narratif. Les lois auxquelles le narrateur obéit aveuglément sont assumées dans les lois anthropologiques et les principes de l'Anthropologie épistémique. Elles se regroupent ainsi 52 : a) Les principes du rythmisme. 1° la loi d'ouverture et de clôture. Il y a un mouvement qui va du repos vers l'action et de l'action vers le repos. 2° la loi de répétition. Elle est un procédé qui crée de la tension et qui donne de la substance au récit. 3° la loi de trois. On rencontre dans ces narratifs trois personnes, trois objets magiques, trois cadeaux, trois tentations, etc. 4° la loi de la position initiale et finale. Le récit présente d'abord celui qui est socialement le plus important et en dernier lieu celui qui gagne la sympathie du narratif. 5° la loi du fil unique. Il n'y a pas d'intrigue complexe conduisant au dénouement des différents fils. Mais le fil est unique. 6° la loi de concentration sur le caractère principal53. Lorsqu'un homme et une femme apparaissent ensemble dans un narratif, l'homme aura le caractère le plus important, tandis que la femme aura la sympathie des auditeurs. b) Les principes du bilatéralisme. 1° la loi de deux sur une scène. Deux personnages se présentent d'une façon antagoniste sur une même scène. 2° la loi de contraste. Le narratif polarise un riche et un pauvre, un jeune et un vieillard, un bon et un mauvais... 3° la loi des jumeaux. On présente deux personnages qui sont petits et faibles dans le même pôle. 4° la loi de la position initiale54. Celui qui est socialement le plus important se présente d'abord, suivi de celui qui gagnera la sympathie du narratif. c) Le principes du formulisme. 1° la loi du dessin schématisé. Les personnes et les situations ne sont pas aussi différentes que possible, mais aussi similaires que possible. Cette stylisation rigide a sa propre valeur esthétique. 2° la loi de l'unité d'action. Une organisation faible et une action incertaine sont le signe sûr qu'il ne s'agit pas d'un narratif épique. L'unité épique est telle que chaque élément collabore à créer un événement dont l'auditeur avait déjà dès le début, prévu la possibilité et qu'il n'avait pas perdu de vue. 3° la loi des 14 tableaux scéniques. On présente des scènes dans lesquelles les acteurs s'approchent l'un de l’autre : le héros et le monstre55. 4° la loi logique. Dans le narratif, les thèmes qui sont présentés doivent avoir une influence sur l'intrigue et une influence en proportion avec leur étendue et leur poids dans le narratif. 2° Les genres simples liés (poésie) Ces genres répondent aux différentes lois anthropologiques universelles par les éléments formels de la poésie orale. Il s'agit des éléments suivants : 1° Le ton. L'assonance tonale est la répétition, dans des vers proches, des groupes de tonèmes semblables ou identiques. La similitude repose sur la possession totale ou partielle des mêmes traits pertinents. Le ton syllabique est utilisé comme élément formel dans un grand nombre de langues africaines. Ce procédé a été constaté pour les proverbes, les devinettes et les chansons. 2° La Quantité. Traduite en mores, la quantité peut être également une base pour les règles poétiques de la littérature orale, tout comme elle l'est de façon analogue mais différente, pour celles des littératures romaine et française. On y trouve des rythmes quantitatifs, spécialement dans les berceuses et dans la poésie. 3° L'accent dynamique. C'est un rythme qui consiste en une série de syllabes accentuées qui se trouvent à une distance approximativement égale à l'intérieur d'un vers. 4° Le mètre. Le dessin métrique est révélé par le battement des mains. Ce battement peut être régulier (divisif) ou irrégulier (additif). Le battement régulier divise la ligne dans un nombre de pieds de durée égale. Le pied compte deux mores dans le mètre : régulier double et trois dans le mètre régulier triple. Le battement irrégulier divise la ligne dans un nombre de pieds de durée inégale, par exemple, 3 -3 -2, ou 2 -2- 3 - 2- 3. 5° L'enchaînement des lignes. Chaque ligne, sauf la première, commence par le même mot que celui par lequel la ligne précédente se termine. Ce même enchaînement existe aussi pour les questions et réponses dans les jeux d'enfants56. 6° La progression répétitive. La deuxième ligne ne reprend qu'une partie de la première et y ajoute une nouvelle partie. La troisième reprend la deuxième, mais la fait suivre d'un élément nouveau. La dernière reprend la fin de la troisième deux fois. Ceci donne à la strophe une forme et une structure de ballade57. 3° Les genres complexes Les genres complexes obéissent aux lois anthropologiques par l'utilisation de certaines figures, d'un style assez particulier, grâce à leur rythme caractéristique58. Les figures utilisées sont synonymiques ou homonymiques ou encore métonymiques. Dans la figure synonymique, au lieu de se servir d'un terme courant, on voile le sens par un mot ou une longue périphrase ayant à peu près le même sens que celui du terme évité. L'autre figure est homonymique. Il s'agit des mots ayant exactement les mêmes syllabes et la même tonalité. La dernière figure est métonymique. Ici, l'effet est exprimé par la cause, le contenant par le contenu, le tout par la partie. Le style de cette poésie fait appel à la phonologie par l'usage des intonations des phrases, l'augmentation de l'écart entre le ton haut et ton bas ou par l'absence de l'intonation (recto-tono) et grâce à la division du texte en vers par un arrêt du débit. Il fait également appel à la morphologie grâce à l'usage des archaïsmes (connectifs invariables, morphèmes verbaux, terminaisons), des substantifs et des reprises des radicaux. Ce style fait également appel à la syntaxe (phrases brèves et simples), au lexique (archaïsmes et figures de style) et à la structure de ces poèmes à trois types (introduction, partie centrale et péroraison). 15 Le rythme dans ces genres donne une prose rythmique dont la périodicité n'est pas systématique. Le parallélisme y est morphologique ou syntaxique. Ici, le nombre de syllabes est égal dans les groupes morphologiques ou syntaxiques consécutifs. Les assonances sont formées des répétitions dans des syllabes proches. Ces assonances sont tonales avec de longues séries de tons identiques, hauts ou bas et l’accumulation des tons montants ou descendants dans certains passages. Les compositeurs de ces genres (poètes dynastiques, poètes des chants pastoraux ou guerriers, poètes des épopées...) sont des poètes-compositeurs (aèdes) ou des poètes-déclamateurs (rhapsodes). Les premiers composent des poèmes, les seconds les apprennent par coeur et les débitent devant un auditoire. Si une famille a produit un compositeur, elle cherchera toujours un déclamateur parmi ses descendants pour immortaliser son ancêtre. La littérature orale traditionnelle en général n'est pas aussi simple qu'on le croit. Elle obéit à une véritable grammaire et à des principes et à des lois qu'il faut respecter. Il faut aussi relever qu'elle a une fonction sociale et pédagogique. La littérature traditionnelle obéit aux lois de la pédagogie chosale. Elle est en prise directe avec le réel et le concret. Elle est aussi une pédagogie globale. Tout le corps humain participe à son élaboration. Elle est enfin une pédagogie différentielle. Chaque peuple et chaque individu ont des particularités propres. Un même récit sera présenté différemment et originalement par deux individus ou deux peuples différents. Les intonations, le rythme, les mimiques seront différents d'une personne à une autre. Cependant, une chose est certaine. La littérature traditionnelle, qu'elle soit africaine ou étrangère, vise l'intussusception des leçons de la société humaine. Des mécanismes mnémotechniques génialement mis en place conduisent à l'intussusception. Ainsi, faudra-t-il mettre en place des méthodes appropriées pour l'étude d'une telle littérature. Des moyens modernes (film, vidéo, Internet, DVD, enregistreur, etc.) seront des supports indispensables à l'étude de cette littérature. 2.5. Le style global de l'Evangile Une troisième orientation dans les recherches et les études en Anthropologie Epistémique peut se dégager à partir de l'étude de la pédagogie de style global de l'Evangile. Cette pédagogie s'inspirera de la méthode pédagogique des Rabbis d'Israël et du Rabbi Iéshoua de Nazareth. Elle pourrait être adaptée au milieu congolais, d'après les travaux de Marcel Jousse. Il s'agira de créer des mécanismes pour la mémorisation des textes évangéliques d'une manière globale, efficace et perdurable, dans un contact vivant avec un enseigneur, par le geste rythmo-mimismologique, rythmo-mélodique, bilatéral et formulaire. Il sera nécessaire d'approfondir le sens de ces textes en les replaçant dans le milieu ethnique et pédagogique qui les a vus naître et les inspirés59. Il s'agit de les mettre en oeuvre grâce à une pédagogie impliquée dans la transmission de la foi. Cette prémisse est indispensable à l'élaboration d'un catéchisme pour l'Eglise du Congo à partir du catéchisme de l'Eglise catholique60. Dans ce projet, deux hypothèses de travail sont présentes. La première a trait à la mémorisation de l'Evangile pour sa meilleure connaissance et son intussusception61. Comment mémoriser ? La seconde hypothèse s'interroge sur l'importance de l'intussusception dans la pratique liturgique et rituelle62. Face à ces deux hypothèses, une grande inquiétude persiste dans les milieux religieux. La société actuelle est fort chargée par les médias modernes. Elle en est même saturée. Comment arriver à faire passer le message évangélique dans un milieu où prédominent certaines données telles que la politique, les sports, les loisirs, etc. Quelle stratégie faudra-t-il mettre en oeuvre pour que la connaissance religieuse soit profondément intussusceptionnée ? 16 Une autre inquiétude étreint les milieux chrétiens, spécialement catholiques. Il s'agit de la prolifération des sectes religieuses. Il y a lieu de se demander d'où provient le succès récolté par ces sectes ? Réside-t-il dans la façon de transmettre le message évangélique ? Réside-t-il dans les rites et la liturgie utilisés ? 1° Mémoriser l'Evangile Marcel Jousse s'est toujours préoccupé des mécanismes de mémorisation de l'Evangile. Toute son oeuvre est une réponse à la question de savoir comment et pourquoi mémoriser l'Evangile ? Dans la recherche des solutions, il affirme que la mémorisation doit se faire par des moyens proprement anthropologiques qui tiennent compte du rythmisme, du bilatéralisme et du formulisme. Chaque milieu, ainsi que chaque anthropos a sa particularité dont il faut tenir compte. La mémorisation de l'Evangile n'est pas, comme le dit Marcel Jousse, un simple "perroquétisme", c’est-à-dire un psittacisme, une écholalie ou un simple "apprenage par coeur". C'est plutôt une assimilation et une intussusception. Il s'agit de gestualiser globalement. Cet exercice passe par quatre étapes qui consistent à balancer la leçon à apprendre, à.1a rythmo-mélodier, à la mimer interactionnellement et à la stéréotyper par des gestes. Les textes de l'Evangile répondent aux principes de balancement et de rythmo-mélodisme, non pas dans un but purement esthétique, mais avec une préoccupation pédagogique. Marcel Jousse dira : «Quand donc il (l'anthropos) s'exprime globalement, il balance son expression suivant la conformité de son corps... De même, quand il marche, en se balançant alternativement, de même l'homme s'exprime en se balançant alternativement. Vouloir faire de ce balancement un principe de pure esthétique, c'est méconnaître totalement la physiologie humaine" (AG : 206)63. La mémorisation est une remémorisation inlassable afin de conserver et d'approfondir ce qui a été acquis. La mémorisation se justifie anthropologiquement et évangéliquement. Sur le plan anthropologique, l'anthropos mémorise pour mieux agir. La mémoire est un instrument de l'intussusception. La connaissance humaine de l'Evangile a pour but de le comprendre afin d'en pénétrer davantage et profondément la signification64. Cette connaissance est nécessaire pour la pratique des paroles contenues dans ces textes bibliques. La mémorisation a également une justification évangélique. La mémorisation d'un texte et d'une leçon rend plus faciles, plus vastes et plus profondes sa compréhension et son intussusception. Dans le cas de l'Evangile, la loi du bilatéralisme formulaire n'est pas seulement le support pédagogique utilisé pour sa transmission par Iéshoua d'abord, puis par ses appreneurs par coeur, mais aussi pour sa connaissance. La mémorisation est au cœur même du message de Iéshoua. La Malkoûtâ qui signifie Royaume, Règne, signifie également régulation. C'est la régulation des gestes de l'homme à l'instar de la Tôrâh de Moïse65. Iéshoua lui-Même a demandé que ses paroles soient remémorées et mémorisées. L'Eglise Catholique a toujours cherché à pratiquer cette mémorisation de l'Evangile. Durant des générations, elle a mis en oeuvre des catéchismes et des catéchèses qui ont eu pour but de transmettre la foi66. Le nouveau Catéchisme de l'Eglise Catholique a pour but "de présenter un exposé organique et synthétique des contenus essentiels et fondamentaux de la doctrine catholique tant sur la foi que sur la morale, à la lumière du Concile Vatican Il, et de l'ensemble de la tradition de l'Eglise. Ses sources principales sont l'Ecriture Sainte, les Saints Pères, la liturgie et le Magistère de l'Eglise. Il est destiné à servir "comme point de référence pour les catéchismes ou compendia qui sont composés dans les différents pays"" (CEC, 1992 : 13). Pour bien intussusceptionner, on veillera, selon les recommandations de Marcel Jousse, à étudier les mécanismes d'élaboration des catéchismes particuliers67. Des expériences ont été concluantes dans beaucoup de pays africains et des méthodes appropriées ont été adoptées pour l'élaboration de ces 17 catéchismes68. Etant donné la saturation des moyens médiatiques actuels, l'Institut d'Anthropologie Epistémique veillera à rechercher les meilleurs moyens de communication pour une meilleure connaissance de la Parole de Dieu. Il sélectionnera ses méthodes pour une meilleure intussusception de cette Parole. Des récitatifs seront élaborés, tenant compte des langues des appreneurs et des lois de l’Anthropologie du Geste. 2° Le langage des gestes rituels et liturgiques L'anthropos est un être rituel et liturgique. Toutes ses activités ont un caractère rituel et liturgique au sens plein de ces termes. Tous ses gestes rituels et liturgiques obéissent aux principes de l'Anthropologie épistémique. On y trouve du rythmisme, du bilatéralisme et du formulisme69. Toute la vie cognitive de l'anthropos est basée pour ainsi dire sur les rites et sur la liturgie. En effet, pour comprendre le rite et la liturgie, on ne peut faire l'économie d'un regard sur le symbole et le symbolisme. Le symbolisme est commun à toute expérience humaine et sert de matériau à toute liturgie et à tout rite70. Le symbole, en effet, donne à penser71. Toute expression humaine, intervenant dans la liturgie ou le rite, comporte un signifiant et un signifié. Pour communiquer, l'anthropos utilise des signes conventionnels qui, selon les circonstances, les lieux et les moments, peuvent renvoyer à plusieurs signifiés et à plusieurs signifiants. La couleur rouge, par exemple, sur un drapeau, la soutane pourpre du Cardinal, le feu rouge sur une route, la chasuble rouge du prêtre peuvent nous renvoyer non seulement à un signifié, mais surtout à d'autres signifiants : le sang, la révolution, le feu, la noblesse, l'amour, le danger, l'Esprit Saint, etc.72. L'homme qui célèbre utilise des signes, mais surtout des symboles. Une gerbe de fleurs aux morts renvoie à d'autres signifiants qui sont la vie, la mort, le souvenir, la reconnaissance, etc. La distinction n'est pas toujours tranchée entre le signe et le symbole. Si, pour le code de la route, on a choisi la couleur rouge, c'est parce qu'elle est la plus visible, mais aussi, inconsciemment peut-être, parce qu'elle évoque le sang. Mais le symbole est d'abord un signe. Il envoie un message. A la différence du signe, le symbole ne sert à rien, du moins dans le sens utilitariste de nos sociétés techniciennes et de consommation. Le symbole est gratuit. Pour qu'il y ait symbole, il faut que j'isole un objet, un geste, une parole de son contexte usuel. Utiliser quelque chose comme symbole consiste à le mettre entre guillemets. C'est utiliser un signe (par exemple une bougie) en s'écartant des normes habituelles et quotidiennes. Le symbole est créateur de sens73. Si les animaux, même les moins évolués peuvent utiliser le signe comme l'homme (le chien remue la queue en signe de joie), seul l'anthropos utilise les symboles. Dans un signe, le sens est limité et clos74. Avec le symbole, le sens est toujours nouveau et limité. Si la rose signifie (signus-fiat) une fleur, toujours une fleur, elle symbolise par contre l'amour, la vie, la réussite (pas de rose sans épines) ou la jeunesse (cueillez, cueillez la fleur de votre jeunesse), etc. Cet et cætera est toujours nécessaire lorsqu'on aborde un symbole, car on ne peut épuiser le sens d'un symbole75. Avec les signes, tout est défini, étiqueté, distingué. Chaque chose a sa place dans le petit casier de l'intussusception. Tout a un sens précis et univoque. Un chat est un chat. Avec les symboles, tout est ouvert. Depuis que l'anthropos existe, il découvre des sens toujours nouveaux aux cadeaux qu'il offre ou au pain qu'il partage. Il est vrai qu'un symbole a parfois une certaine ambivalence, un certain flou. On n'a jamais fait le tour d'un symbole. Si on peut le faire, on le tuerait. Si le signe intéresse l'intussusception, le symbole est le lieu d'une vraie intussusception. Il est une reconnaissance76. Le symbole nous permet de nous exprimer là où il n'y a plus de mots pour le dire. Dans de graves circonstances (émotion forte, joie inexprimable, grand malheur,...), nous recourons au symbole. Lorsque la joie ou la douleur ou la compassion fraternelle deviennent indicibles, lorsque l'appréhension d'un grand mystère nous coupe le souffle, que reste-t-il comme autre ressource de communication ? Seule reste la présence silencieuse, celle qui est symbolique et geste77. La 18 symbolisation, c'est le trop-plein du langage78. On comprend ainsi pourquoi les rites africains, les rites en général, les célébrations humaines, particulièrement chrétiennes, s'expriment en symboles. Ceux-ci prétendront signifier le Tout-Autre, l'In-effable, l'Indicible, l'Invisible79. Ainsi l’Anthropologie Epistémique s'intéressera aussi aux rites et aux différentes liturgies. Un premier accent sera mis sur la liturgie, notamment celle de l'Eglise catholique. Cette liturgie pourrait être comparée à d'autres liturgies, africaine, orientale, byzantine, syriaque, fanqîth, etc...Ici, les chrétiens catholiques utilisent des rites tels que le rite romain, le rite congolais, le rite latin, etc80. Dans toutes ces liturgies, on remarque l'importance du symbolisme, du corps et des gestes. Le faire devient le dire. Les différents laboratoires de l'Anthropologie Epistémique seront impliqués dans l'étude des formes liturgiques, convenables à telle période, à tel milieu ou à tel groupe d'individus (les enfants par exemple), etc. On remarquera de plus en plus la nécessité qu'il y a à exprimer la liturgie dans les cultures particulières. La liturgie est opératrice et formatrice des cultures. Le catéchisme de l'Eglise Catholique est tout à fait disposé à cette pédagogie différentielle. Il affirme que : "La diversité liturgique peut être source d'enrichissement; elle peut aussi provoquer des tensions, des incompréhensions réciproques et même des schismes. Dans ce domaine, il est clair que la diversité ne doit pas nuire à l'unité. Elle ne peut s'exprimer que dans la fidélité à la fois commune aux signes sacramentels que l'Eglise a reçus du Christ, et à la communion hiérarchique. L'adaptation aux cultures exige une conversion du coeur, et s'il le faut, des ruptures avec des habitudes ancestrales incompatibles avec la foi catholique" (CEC, 1992 : 263). Dans la liturgie, il conviendra d'examiner ce qui est immuable et ce qui est susceptible de changements81. L'Eglise qui est gardienne de la partie immuable a le devoir, le pouvoir d'adapter les autres parties aux cultures des peuples, notamment ceux qui ont été récemment évangélisés. Le Catéchisme de l'Eglise Catholique recommande la couleur locale pour ses célébrations liturgiques. C'est là où peuvent être discernées les vraies valeurs culturelles et chrétiennes, intussusceptionnées dans une véritable symbiose. Pour le CEC, "La célébration de la liturgie doit donc correspondre au génie et à la culture de différents peuples. Pour que le mystère du Christ soit "porté à la connaissance de toutes les nations pour les amener à l'obéissance de la foi" (Rm, 16, 26), il doit être annoncé, célébré et vécu dans toutes les cultures, de sorte que celles-ci ne soient pas abolies mais rachetées et accomplies par lui. C'est avec et par leur culture humaine propre, assumée et transfigurée par le Christ que la multitude des enfants de Dieu ont accès auprès du Père, pour le glorifier, en un seul Esprit" (CEC : 262). Il est à remarquer que la liturgie chrétienne s'inspire de la liturgie juive qu'elle a bien intussusceptionnée. Il faut donc, comme l'a fait Marcel Jousse, avoir une meilleure intussusception de la foi et de la vie religieuse du peuple juif pour prétendre opérer des adaptations. Les juifs et les chrétiens ont l'Ecriture Sainte comme part essentielle de leurs liturgies réciproques (proclamation de la parole de Dieu, la réponse à cette parole, la prière de louange et d'intercession pour les vivants et les morts, le recours à la miséricorde de Dieu...). La liturgie de la parole, dans sa structure propre, trouve son origine dans la prière juive. La prière des heures et les autres textes et formulaires liturgiques ont leurs parallèles ainsi que les formules mêmes des prières les plus vénérables actuelles de l'Eglise Catholique dont le "Pater"82. Ainsi, l'Anthropologie Epistémique s'efforcera aussi, à la lumière de ces recommandations, de rechercher l'intelligence de tous ces rites étrangers et leur assimilation par l'Eglise locale, afin d'en faire un rite africain ou congolais83. Des adaptations peuvent être faites en puisant dans le riche répertoire des rites africains ou congolais qui est fait de gestes proprement africains ou congolais84. Des études comparatives seront initiées visant l'intussusception du signe liturgique, du signifié et du signifiant dans une liturgie bien 19 déterminée. Les recherches seront menées sur le sens à donner au geste liturgique et sacramentel, aux objets et ornements liturgiques, adaptables aux gestes, objets et ornements africains. 2.6. Le style pédagogique scolaire Un quatrième champ d'application de l'intussusception visera l'amélioration des méthodes d'enseignement dans un milieu scolaire. Il existe des méthodes gestuelles pour apprendre aux enfants la lecture, l'écriture et le calcul. C'est la méthode utilisée par le Groupe Scolaire du Mont Amba de l'Université de Kinshasa. Au niveau du jardin d'enfants et de l'enseignement élémentaire (école primaire), les enseignants pratiquent cette méthode basée sur des gestes mimismologiques, rythmologiques, bilatéraux et formulaires. Cette hypothèse de travail peut être formulée dans l'élaboration d'un tel projet à travers les questions suivantes : Quelle efficacité peut-on retirer d'une méthode gestuelle auprès des enfants ? L'intussusception inhérente à cette méthode procure-t-elle une culture fondamentale et générale durable ? Les stratégies à mettre en place partiront d'une étude comparative des réussites entre les élèves finalistes de tous les niveaux (maternel, primaire et secondaire) et d'autres élèves qui n'ont pas connu cette méthode. Des cohortes seront créées sur une longue période pour déterminer les réussites dans plusieurs écoles. Cette comparaison sera poussée jusqu'au niveau de l'Enseignement Supérieur et Universitaire pour les mêmes élèves. L'intussusception est basée sur une certaine intériorisation des matières enseignées. Elle est une incorporation des mécanismes mimismologiques dans leur façon de penser, d'agir et de réfléchir. Elle est aussi une méthodologie basée sur le rythmisme, le bilatéralisme et le formulisme et qui s'incruste en eux. Il y a là des effets d'une pédagogie chosale, globale et différentielle85. Pour que l'enfant devienne une personne adulte, cultivée et instruite, avec une culture générale profonde et durable, il faudra qu'il intussusceptionne tout ce qu'il a appris. Une véritable pédagogie chosale, globale et différentielle est à appliquer dans sa formation. La culture scientifique n'est pas une accumulation de savoirs. Elle se distingue par une certaine qualité du savoir caractérisée par la disponibilité, l'assimilation, la totalité et la transférabilité. Une intussusception qui conduit à une culture solide rend tout l'organisme disponible. L'anthropos peut utiliser toutes ses ressources pour faire face à une situation nouvelle et résoudre des problèmes nouveaux. L'intussusception rend l'homme capable d'apprendre. Elle apprend à apprendre86. L'anthropos ne peut disposer d'un savoir que s'il le fait sien. Ce savoir doit s'incarner en lui, dans son langage, et dans ses propres images. Une intussusception n'est guère utilisable que si elle reste dans la forme sous laquelle l'esprit la reçoit. C’est l'intussusception qui organise les connaissances humaines. Une somme de connaissances sans lien entre elles ne font pas une culture. Elles doivent s'organiser selon un principe unificateur qui est dans l'homme lui-même. Une telle culture permet l'acquisition d'un savoir relatif, un savoir qui, tout en étant différent d'un autre, appelle d'autres savoirs, sans entraver cette acquisition87. 3.5. La thérapie des aphasies et des apraxies Il serait possible d'étendre le champ de recherche de l'Anthropologie Epistémique au domaine de la thérapie des apraxies, des aphasies et de la dyslexie avec le concours du Centre Neuro-Psycho-Pathologique de l'Université de Kinshasa (CNPP). En effet, l'anthropos est un être ontologiquement mimeur, gestuel et moteur. Il est fragile dans sa vie psychique. Un dysfonctionnement de son être profond, (somatique, spirituel ou psychologique) peut fortement l'ébranler et le perturber irréversiblement. Les troubles mentaux, psycho-moteurs, les aphasies, les apraxies, les troubles du langage... sont les effets d'un dérangement des gestes fondamentaux de l'homme88. 20 L’Anthropologie épistémique offre des éléments pour l'étude, la thérapie et la prophylaxie dans ce domaine. L’hypothèse de travail suivant se dégage aisément : L’anthropos peut-il se passer de l'intussusception et rester encore humain ? L’intussusception, procédant du rythmisme, du bilatéralisme et du formulisme peut-elle disparaître d'un individu humain ? Qu'entraîne sa disparition ? Le concours des médecins, des psychologues, des psychiatres, des sociologues, des neurologues, ...est requis pour l'élaboration d'un tel projet89. Des études comparatives et statistiques seront nécessaires pour déterminer les différents seuils dans la thérapie et la prophylaxie de déblocage du patient. L’Anthropologie épistémique offre des éléments d’étude et de recherche, en se plaçant sur le plan d'une pédagogie chosale, globale et différentielle. Tous ces projets et tous ceux que l'Institut d'Anthropologie Epistémique pourrait mettre en marche visent l'homme global. Ils privilégient le laboratoire de l'enfance90. En effet, l'enfant est un être encore en formation à tout point de vue. C'est ainsi que toute une discipline lui a été réservée : la pédagogie (paida-gogia). Marcel Jousse s'est toujours préoccupé de l'éducation de l'enfant et de l'homme en général. Il s'interroge sur une prise de conscience et sur les mécanismes de la connaissance et de l'intussusception. Pour Marcel Jousse, l'enfant reçoit, enregistre, joue et rejoue tout par les gestes de tout son corps. Ainsi, "Le rejeu des mimèmes corporels et manuels n'est pas éparpillé ni incohérent. Il s'exécute spontanément sous la forme intelligente et logique d'un geste propositionnel, généralement triphasé, l'agent-agissant-agi. Ces trois phases normales du geste propositionnel mimismologique sont nécessairement successives, mais elles sont aussi biologiquement imbriquées. Elles forment un "tout" musculaire et sémantique indéchirable. Dès lors, la pensée vivante de l'enfant a son vivant outil de conquête, de conservation et d'expression du réel : le mimage ou langage par des gestes corporels et manuels, mimismologiques et propositionnels. C'est sur cette base intellectuelle et vivante du rejeu propositionnel mimismologique que devra être fondée toute pédagogie anthropologique. La pédagogie anthropologique sera désormais une mimo-pédagogie" (Jousse, 1935 : 1). De tout ce qui précède, l'anthropologie épistémique devient un lieu où se pratique une pédagogie de l'action basée sur le globalisme humain. Le corps est un instrument d'intussusception. CONCLUSION L'Anthropologie du Geste considérée comme anthropologie épistémique se fonde sur l'intussusception. Elle est présupposée par la corporéité et par la perception. Ces deux a priori sont indispensables dans le processus de l'intussusception. L'objet de l'Anthropologie du Geste, comme celui de l'anthropologie épistémique, est l'anthropos mimeur, intussusceptionnant, jouant et rejouant les interactions de l'univers afin de les mieux intussusceptionner. Son lieu théorique est l'intussusception. L'épistémologie de l’Anthropologie du Geste est une anthropologie épistémique. Elle se fonde sur les trois principes joussiens qui lui sont fondamentaux. Il s'agit du rythmisme, du bilatéralisme et du formulisme. Ces principes confirment en amont, le primat de la corporéité et de la perception dans l'intussusception et en aval l'intussusception comme lieu théorique. La théorie joussienne confirme que l'anthropos est un être mimeur. Il mime toutes les actions de l'univers. Il est bilatéral et bilatéralisant. Sa structure bilatérale est un adjuvant pour l'intussusception. Pour éviter un renouvellement perpétuel des gestes humains, l'anthropos crée des formules susceptibles de nombreuses intussusceptions. Ces trois principes situent enfin le lieu théorique de l'anthropologie épistémique comme intussusception. L'intussusception comme fondement théorique est ce sans quoi une lecture épistémologique de l’Anthropologie du Geste serait impossible. L'anthropologie épistémique ne 21 s'approche que par la réflexion. Elle part de l'homme sujet connaissant vers l'objet connu, perçu, mimé, rythmé, bilatéralisé et formulé. Une telle anthropologie débouche sur de nombreuses applications pratiques et dont certaines ont été ci-dessus présentées dans le cadre du projet de l’Institut d’Anthropologie épistémique que nous comptons mettre sur pied. 22 NOTES DE REFERENCES 1 Se référer utilement à nos deux études : BONGO-PASI MOKE SANGOL, 1996 et 2002. 2 Marcel Jousse est une véritable mine qu’il faut exploiter. En lui, « chacun suit son propre filon : exégètes, catéchistes, missionnaires, médecins, linguistes, ethnologues, sociologues, philosophes, éducateurs, rééducateurs, chercheurs éternels de la vérité ». (Cf. ARISTOUX, 1987, p. 42). 3 Cf. W. BONGO-PASI, L’intussusception selon Marcel Jousse, Lieu théorique d’une anthropologie épistémique, pp. 509-546. 4 Cf. Y. BEAUPERIN, Anthropologie du Geste et pédagogie, (cours du laboratoire), 1994. 5 Cf. Idem, pp. 4-7. 6 Le texte original utilise le terme imitation que Marcel Jousse remplace par celui de mimisme : "L’homme diffère des autres animaux en ce qu'il est très apte à l'imitation et c'est au moyen de celle-ci qu'il acquiert ses premières connaissances" (ARISTOTE, Poétique, IV, 2, cité par Y. BEAUPERIN, 1994 : 4). 7 Cf. Y. BEAUPERIN, o.c., p. 4 et J. M. MEYER, Aristote, Marcel Jousse et René Girard, 1993. 8 Cf. Y. BEAUPERIN, Anthropologie du Geste et pédagogie, 1994, pp.4-7. Dans son mémoire, Du mimisme à la musique chez l'enfant, Marcel Jousse fait une description très dense du terme "mimisme". Ce mémoire constituait le point de départ des études au Laboratoire de rythmo-pédagogie. 9 M. JOUSSE, Notes de Cours à la Sorbonne, cité par Y. BEAUPERIN, o.c., p. 4. 10 Ces idées sont reprises en paraphrases chez Y. BEAUPERIN, o.c., p. 5. 11 Cf. M. JOUSSE, Notes de cours, Sorbonne, cité par Y. BEAUPÉRIN, o.c., 1994, p.6. 12 Marcel Jousse cite en exemple Louis de Broglie, professeur de physique, cours dispensé dans le même auditoire (Turgot à la Sorbonne) que lui. 13 Cf. Y. BEAUPERIN, Anthropologie du Geste et pédagogie, 1994, pp. 8-18. 14 Idem, p. 8. 15 Le concept d'irradiation fait découvrir l'élève ou l'étudiant intelligent. Celui-ci imite le maître. Tous les gestes du maître s'irradient en lui. 16 Un projet de recherche pourrait être élaboré à partir de cette question et s'intéresser à la thérapie des maladies de dysfonctionnement de l'être humain. 17 Cf. Y. BEAUPERIN, o.c., 1994, pp. 9-10 . 18 Cf. Y. BEAUPERIN, o.c., 1994, p. 10. Il pense qu'une évocation visuelle directe est différente d'une évocation auto-visuelle qui est plus globale. On peut aussi parler d'une évocation auditive directe à côté d'une évocation auto-auditive ou verbale. 19 AG, pp. 23-24. 20 Y. BEAUPERIN, o.c., 1994, p. 10. 21 Cf. Y. BEAUPERIN, o.c., 1994, pp. 11-13. RACLE cité par lui, La pédagogie interactive, 1983, pp. 61-62 et AG : 23-24. 22 Cf. B. EDWARDS, Drawing on the right side of the Brain, 1979. Les deux hémisphères s’opposent et se complètent : analyse et synthèse, langage et pensée non verbale, raison et intuition. Des dualités peuvent être établies décrivant les caractéristiques modales des hémisphères Droit et Gauche. 23 Cf. H. TROCME-FABRE, J’apprends, donc je suis, 1990. 24 A. LALANDE, o.c., pp.1089-1090, aux sens A et B. E. MORIN, Le paradigme perdu : la nature humaine, 1973, passim. 25 M. JOUSSE, Notes de cours à la Sorbonne, 1931, cité par Y. BEAUPERIN, o.c., 1994, p.19. 26 Ibidem. 27 Ibidem. 28 Ibidem. 29 Ibidem. 30 L’anthropologie du Geste, tout comme l’Anthropologie Epistémique, est une pédagogie. 31 Lire JEAN PAUL II, (Pape) "Inter Mirifica", sur les communications sociales, pp. 145-157. 32 Il existe une littérature abondante sur cette problématique. On consultera avec intérêt le Catéchisme de l'Eglise Catholique, 1962, pp. 503-504, et A. ARISTOUX, "Le mimisme humain et les médias modernes", 1987, pp. 45-53. Une telle approche évoque la problématique de la liberté, d'expression et celle d'une éthique et d'une déontologie de la communication à tous les êtres communicants. Car chaque geste compte et chaque parole porte. Les effets de chacun de ces gestes et de chacune de ces paroles peuvent engendrer le meilleur ou le pire dans la mémoire de chaque agi. 33 Un article particulièrement intéressant auquel nous nous référons, traite de cette question, sous la plume de Cl. PAIRAULT, "'Oralité à bout de souffle ?", 1987, pp. 27-42. N'ayant pas lu ZUMTHOR, tous ces extraits cités dans ce travail proviennent de l'article de Claude Pairault. Cf. aussi Cl. HAGEGE, L'homme de paroles, contribution linguistique aux sciences humaines, 1985. 34 L'espace des communications sociales est actuellement fort rempli et même saturé. Le politique y occupe le premier plan. Peut-on s'arrêter à ne faire que ce constat ou à rechercher une bonne canalisation des informations ? 35 L'auteur entend par ce dernier terme (mis en exergue) tout système visuel de symbolisation exactement codée et traduisible dans une langue. Cf. aussi J. VERRIER, "Présentation", 1982. 36 P. ZUMTHOR, Introduction à la poésie orale, 1983, pp. 67-68. 37 Cf. Cl. PAIRAULT, "L'oralité à bout de souffle", 1969, p. 29 et Documents du parler d'Iro, 1969, pp. 202 sq., ainsi que M. JOUSSE, AG, 1974, pp. 172 et 252. 38 Des recherches existent dans ce domaine en deux directions différentes. Celle de l'histoire orale, avec les travaux de Ph. JOUTARD, Ces voix qui nous viennent du passé, 1983 ; et celles d'ethnotextes ; Cf. aussi Nicole GUENIER, "Oral, corps et société", 1983, pp.77-82. 23 39 AG, 1974, p.55 ; Cf. Cl. LEVI-STRAUSS, La pensée sauvage, 1962; J. GOODY, The Domestication of the Savage Mind, 1 979, et La logique de l'écriture. Aux origines des sociétés humaines, 1986. 40 Cf. E. BONVINI, "Contraintes langagières des systèmes de communication, 1977. 41 Cf. B. DORT, "Le nouveau théâtre", 1 980, p. 1075 b. 42 E. BONVINI, "Contraintes langagières des systèmes de communication", 1977, pp. 15-16. 43 M. JOUSSE voit dans le cinéma et le théâtre des instruments d'un langage objectif et concret, dicté par les sons et les choses de la nature et leur interaction (AG, 1974, pp. 184, 398 et 403). Il insiste sur les avantages scientifiques et pédagogiques de ces techniques, mais, il est loin d'imaginer que ces médias auraient un impact sérieux sur la texture et l'exercice de l'oralité. 44 Cf. A. HALEY, (1977) qui retrouva en Afrique un griot qui lui raconta exactement l'histoire de son ancêtre Kounta Kinté. 45 Cf. l'intéressant article de Y. BEAUPERIN, "Anthropologie de la tradition de style oral", 1977, pp. 32-46. 46 Il est sûr qu'une telle littérature intéresse l'anthropologie épistémique. Les différentes lois de la composition littéraire ne sont autres que les lois anthropologiques universelles. Cf. les vues intéressantes d’E. WEIL "Tradition et traditionalisme", 1971, pp. 9-21 et de G. GOSELIN, "Tradition et traditionalisme" 1975, pp. 215-227. 47 Cf. L. STAPPERS, Précis du cours des littératures africaines, 1971-1972. Cf. aussi M. HOUIS, L'anthropologie linguistique d'Afrique noire, 1971. 48 Ces genres sont un instrument pédagogique qui sert à manipuler avec aisance des notions abstraites. Chaque genre comprend des sous-catégories. Les récits historiques se subdivisent en récits universels, histoire tribale (Kuba, Luba, Rundi, Rwanda), récits locaux ou récits familiaux (généalogie, migrations, traditions dynastiques...). Les récits étiologiques se subdivisent en fabliaux, fables, contes magiques, contes d'ogres, contes d'un fou, contes judiciaires et contes- formules (contes sans fin, contes inachevés, contes cumulatifs, contes chaînes et contes répétitifs). 49 * Les morceaux récités sont les énigmes, les devinettes, les problèmes, les proverbes, les prières, les salutations solennelles, les devises et titres, les récits cumulatifs, les comptines, les jeux verbaux, les récits sur les parties du corps, les ballades et les Varia composés des "imitations d'oiseaux", des "langages secrets ou semi-secrets" et des "allitérations difficiles" etc…. * Les morceaux chantés se subdivisent en genres décrivant 1° le cycle de la vie humaine tel que la naissance (des jumeaux), la dentition, les premiers pas, l'initiation, le mariage, les sociétés religieuses, le deuil. 2° les occupations diverses telles que les berceuses, la chasse aux sauterelles, les chants guerriers, les chants des forgerons, des pilonneuses, des buveurs, des amoureux, des moqueurs, etc. * Les morceaux dansés expriment les manifestations dynamiques des émotions collectives ou individuelles. Ils ont lieu lors d'un deuil, d'un moment de joie, de fertilité, de guerre et dans des sociétés secrètes ou religieuses. * Les morceaux télécommuniqués se font sur base d'un langage tambouriné avec certains instruments tels que le tambour ordinaire ou à fente horizontale rectangulaire, deux morceaux de bois de grandeurs différentes, une cloche double, un sifflet à deux tons, des cornes à deux trous, un instrument à deux cordes ou les voix humaines surtout dans l'eau. Le code utilisé pour transmettre le message se base sur deux principes binaires : l'opposition de tonalité entre haut et bas, l'opposition rythmique entre mot accentué et non accentué et des phrases stéréotypées qui forment des patrons tonals et rythmiques. 50 La littérature dans ce domaine est assez abondante. Citons, à titre illustratif quelques titres : BAKARI TRAORE, "Le théâtre négro-africain et ses fonctions sociales», 1958 ; L. BITTREMIEUX, "Symbolisme in de Negerkunst", 1937 ; E. BOELAERT, "Nsong'a Lianja", 1949 ; E. BOELAERT, "Premières recherches sur la structure de cinq poésies lonkundo», 1952 ; A. COUPEZ, "Poème pastoral rwanda", 1961; Allan DUNDES, "Epic laws of Folk Narrative", 1965; 7. Y. GOROG, "Pour une méthode d'analyse de littérature orale africaine. Introduction à une bibliographie sélective", 1968 ; V. GOROG, "Bibliographie sélective pour la littérature orale d'Afrique noire", 1968 ; G. HULSTAERT, "Théâtre Nkundo", 1953 ; A. KAGAME, "La poésie pastorale au Rwanda", 1947 ; E. KONGAS-MARANDA, "Structure des énigmes", 1969 ; O. NIANE, "Soudjata ou l'épopée mandingue", 1960 ; A. WERNER, Myths and Legends of the Bantu, 1933 ; O. ZAHAN, La dialectique du verbe chez le Bambara, 1963. 51 Ces genres se transmettent oralement et soigneusement. Ils sont appris verbatim et confiés à la mémoire de génération en génération. Ils se transmettent mot à mot et constituent une source de grande importance pour l'histoire des religions. 52 Cf. A. DUNDES, "Epic Laws of Folk Narrative", 1965, pp. 131-141. 53 Cette loi répond aussi au principe du formulisme. 54 C’est aussi un principe du rythmisme. 55 C'est aussi un principe du bilatéralisme. 56 C'est comme dans un sorite. Exemple n° 1: Exemple n° 2 : 1……………. a 1………….. ?............................... a 2 a………….. b 2 a………... ?............................... b 3 b ………….c 3 b ………...?................................ c 4 c…………. d etc 4 c ………...?............................... d etc. 57 Exemple : A ---------------- B (x) B ------------------- C B------------------- C------------------- D C------------------- D (2x) 58 Il s'agit ici surtout de la poésie dynastique. Il existe dans ces pays des corporations de poètes dynastiques. Ceux-ci avaient des privilèges que d'autres n'avaient pas. Ils formaient ainsi une véritable école de déclamation. 59 Cf. E. LEVINAS, L'au-delà du verset, 1982, passim. Voir aussi P. LENHARDT, "L'importance de l'oralité dans la 24 tradition juive et ses rejeux théologiques", 1987, pp. 59-80. 60 Cf. Le Catéchisme de l'Eglise Catholique, 1992, 676 pages. Nous utiliserons l’abréviation CEC. 61 Cf. l'article de Y. BEAUPERIN, "Mémoriser l'Evangile", 1987, pp. 49-61. 62 Cf. J. LEBON, Pour vivre la liturgie, 1986, 169 pages et Le CEC, pp. 229-358. 63 Les parenthèses sont nôtres. 64 Il faut noter avec Pierre LENHARDT, 1987, pp. 63-80, que le message évangélique à son origine est oral. Il existe trois étapes de cette oralité. L'oralité face à la scripturalité dans la tradition juive, l'oralité et la textualité, et l'oralité et la vitalité de la tradition rabbinique. 65 Cf. Y. BEAUPERIN, "Mémoriser l'Evangile", 1987, pp. 51-55. 66 Avant ce catéchisme, il a existé le Catechismus Romanus. 67 Le Catechismus Romanus fut traduit et adapté dans toutes les langues et dans tous les pays. Le catéchumène l'apprenait par coeur. Il constituait la seule référence du futur chrétien. 68 Cf. B. MANGEMATIN, "Culture Yoruba : religion et langue", 1990, pp. 56-67, ainsi que J. FEDRY, L'expérience du corps comme structure du langage, 1975. 69 Il existe une abondante littérature sur le langage rituel. Sans être exhaustif et pour le besoin de notre étude, citons : J. TUZIME YILBULDO, Elaboration d'une tradition orale, 1971 ; H. HOCHEGGER, Le langage des gestes rituels, 1981-1983 ; Idem, Le langage gestuel en Afrique Centrale, 1978 ; Idem, Dictionnaire des rites, 1984-1987 ; V. TURNER, The ritual process. Structure and antistructure, 1969 ; J -C. MUBENGAY, Initiation africaine et initiation chrétienne, 1966. 70 Cf. L.-M. CHAUVET, Du svmbo1isme au symbole, 1986. 71 Cf. P. RICOEUR, Finitude et culpabilité, 1961. 72 Inspirons-nous de l'ouvrage de Jean LEBON, Pour vivre la liturgie, 1986, spécialement les pages 3-14. Cf. aussi M.G. MOURET, "Développement psychique et spirituel à la lumière du symbolisme et de la tradition", 1990, pp. 31-40. 73 T. TODOROV, Symbolisme et interprétation, 1978. Le symbolisme appelle toujours l'interprétation. 74 Cf. Paul RICOEUR, La symbolique du mal, 1961 ; Le conflit des interprétations. Essais d'herméneutique, 1960 ; De l'interprétation. Essai sur Freud, 1965, avec sa formule, "Le symbole donne à penser". 75 Dans Lc 15, la parabole du fils prodigue décrit, au moyen des symboles, la joie du père qui retrouve son fils. 76 L'intussusception se fait au moyen des abstractions concrètes. Ces abstractions sont l'objet des langages non verbaux. Cf. les auteurs suivants : L. ARGYLE, "Non verbal communication in human Social Interaction", 1972 ; R. A. HINDE, Non verbal communication, 1972 et Cl. LEVI-STRAUSS, Mythologie : l'homme nu, 1971. 77 Cf. Lc 15, dans la parabole précitée. Cf. aussi J. LEBON, o.c., p. 6. 78 Les paraboles de Iéshoua ont été dictées dans ce contexte. Cf. J.F. FROGER, "La parabole du filet et du scribe", pp. 41-45. 79 Cf. J. LEBON, o.c., p. 7. 80 Les diverses traditions liturgiques, les rites, sont légitimement reconnus parce qu'ils signifient et communiquent le même mystère du Christ et manifestent la catholicité de "Eglise. Ainsi, le critère qui assure l'unité dans la pluriformité des traditions apostoliques, c'est-à-dire, la communion dans la foi et les sacrements reçus des apôtres, communion signifiée et garantie par la succession apostolique. 81 Cf. B. HARING, La loi du Christ, tome Il, pp. 157-216 ; bibliographie, pp. 215-216. 82 Cf. CEC, 1992, pp. 241-242. 83 Plusieurs études ont été menées dans ce sens. Citons celle du R.P. Célestin MUBENGAY LWAKALE, Initiation africaine et initiation chrétienne, 1966, spécialement les pages 53-79 et sa bibliographie, pp. 95-98. 84 Cf. les deux études suivantes : R. DE HAES, "Etude comparative des anciens rites de funérailles de la liturgie romaine et des rites africains", 1961, pp. 1-9 ; B. MANGEMATIN, "Culture Yoruba : religion et langue», 1990, pp. 56-67. 85 Ces vues rejoignent celles d'Olivier REBOUL dans La philosophie de l'éducation, 1971. Il y développe des notions de dressage, d’apprentissage, d’initiation, d’enseignement et de culture humaine. (Cf. pp. 19-31). 86 O. REBOUL, o.c., p. 25, cf. aussi M.G. MOURET, "Développement psychique et spirituel à la lumière du symbolisme et de la tradition", 1990, pp. 31-40. 87 On retrouve ici l'image de l'intussusception comme mode d'accroissement des vivants. Cf. O. REBOUL o.c., pp. 25- 26. J. CHATEAU, La culture générale, 1964, pp. 196 sq. 88 Marcel Jousse dira "cela a paru étonnant quand j'ai montré que les maladies soi-disant "mentales" étaient des maladies de la gesticulation globale. Il y a irradiation de l'oeil dans le buste. C'est, j'allais dire, le tronc lui-même qui reçoit le mimème de la gesticulation oculaire" (cité par Y. BEAUPERIN, Anthropologie du geste et pédagogie, 1994, p. 9). 89 Cf. J. MORLAAS, Contribution à l'étude de l'apraxie, 1928, passim. 90 D'autres projets sont envisageables dans les domaines les plus variés des sciences humaines (Cf. Cahiers Marcel Jousse, 1993), de la justice (Cf. A. PETIT, 1990), de l’Architecture (Cf. P. SCHWIND), de la littérature moderne (Cf. E. SIENAERT, 1993), de la cybernétique (Cf. H. SAVONNET), de la Philosophie du langage (Cf. J. FEDRY, 1976), de la musique, du théâtre (Cf. M. JOUSSE, 1935 , Antonello COLIMERTI, 2001) et de l'art, etc... Nous ne pouvons épuiser ici les domaines d'application. Ils correspondent à toute la vie cognitive de l'homme. 25 BIBLIOGRAPHIE 1. ARGYLE L., "Non verbal communication in human Social Interaction", in Hinde, 1972. 2. ARISTOTE, Poétique, Traduction de J. HARDY, Paris, Les Belles lettres, 1970. 3. ARISTOUX A., "Le mimisme humain et les médias modernes", in Marcel Jousse, du geste à la parole, travaux et conférences du Centre Sèvre, (12), 1987, pp. 45-53. 4. BEAUPERIN Y., "Mémoriser l'Evangile", in Cahiers Marcel Jousse, 1, 1987, pp. 49-61. 5. BEAUPERIN Y., Anthropologie du Geste et pédagogie, (cours du laboratoire), Paris, Institut de Pédagogie rythmo-mimismologique, 1994. 6. BEAUPERIN Y., " Anthropologie de la tradition de style oral", 1977, pp. 32-46. 7. BONGO-PASI MOKE SANGOL, Willy, L’intussusception selon Marcel Jousse, Lieu théorique d’une anthropologie épistémique, Thèse de doctorat en philosophie, Faculté des lettres, Université de Kinshasa, Kinshasa, 1996. 8. BONGO-PASI MOKE SANGOL, Willy, « Anthropologie du Geste ou Anthropologie épistémique ? », in Cahiers Marcel Jousse, Paris, Association Marcel Jousse, n° 9, 2002, pp. 107-136. 9. BONVINI E., "Contraintes langagières des systèmes de communication", in Recherches, pédagogie et culture, 27, vol. 5, 1977, pp. 8-17. 10. CATECHISME DE L'EGLISE CATHOLIQUE, (LE), Paris, Mame, Plon, 1962. 11. CHATAIN Th., "Rythme, mimisme et connaissance", in Cahiers Marcel Jousse, 3, 1990, pp.90-91. 12. CHATEAU J., La culture générale, Paris, Vrin, 1964. 13. CHAUVET L.-M., Du svmbo1isme au symbole, Paris, Cerf, 1986. 14. COLIMBERTI Antonello, Il mimodramma di Marcel Jousse, Dottorato di Recerca in Storia del Teatro Moderno e Contemporaneo XI ciclo, Università degli Studi di Salerno, 2001. 15. DE HAES R., "Etude comparative des anciens rites de funérailles de la liturgie romaine et des rites africains", in Jeunes Eglise, 1961, pp.1-8. 16. DORT B., "Le nouveau théâtre", in Encycopedia universalis, T.15, 1980, p. 1075 b. 17. FEDRY J., « L'expérience du corps comme structure du langage », in L’homme, 1975, XVI, 1, pp.65-107. 18. FROGER J.F., "La parabole du filet et du scribe", in Cahiers Marcel Jousse, 1990, 3, pp. 41-45. 19. GARANDERIE Antoine de la, Pratique pédagogique de la gestion mentale, Paris, Retz, 1991. 20. GOODY J., La logique de l'écriture. Aux origines des sociétés humaines, Paris, A. Colin, 1986. 21. GOODY J., The Domestication of the Savage Mind, Cambridge University Press, 1979, 22. GOSELING, 'Tradition et traditionalisme", in Revue française de sociologie, 1975. 23. GUENIER Nicole, "Oral, corps et société", in Le français aujourd’hui, 64, 1983, pp.77-82. 24. HAGEGE Cl., L'homme de paroles, contribution linguistique aux sciences humaines, Paris, Fayard, 1985. 25. HALEY A., Racines, Paris, Alta, 1977. 26. HARING B., La loi du Christ, tome Il, La vie en communion avec Dieu, 3ème édition, Paris, Tournai, Rome, New York, Desclée et Cie, 1961. 27. HINDER. A., Non verbal communication, Cambridge, 1972. 28. HOCHEGGER H., Le langage des gestes rituels, Bandundu, CEEBA, (65-66), 1981-1983. 29. HOCHEGGER H, Dictionnaire des rites, Bandundu, CEEBA, 1984-1987. 30. HOCHEGGER H., Le langage gestuel en Afrique Centrale, Bandundu, CEEBA, 1978. 31. HOUIS M., L'anthropologie linguistique d'Afrique noire, Paris, PUF, 1971. 32. JEAN PAUL II (Pape), «Inter Mirifica », Sur les communications sociales, in Acta Apostolicae Sedis, (56), 1964, pp. 145-1 57. 33. JOUSSE, Marcel, Du mimisme à la musique chez l’enfant, Paris, Geuthner, 1935. 34. JOUSSE, Marcel, Etude de psychologie linguistique : le style oral rythmique et mnémotechnique chez les verbo-moteurs, Paris, Beauchesne, 1925. 26 35. JOUSSE, Marcel, L’étude de Psychologie du Geste, Le rabbi d’Israël. Récitatifs rythmiques parallèles : genre de la maxime, Paris, Spes, 1930. 36. JOUSSE, Marcel, La Manducation de la Parole, Paris, Gallimard, 1978. 37. JOUSSE, Marcel, L'anthropologie du Geste, Paris, Gallimard, 1974. 38. JOUSSE, Marcel, Le Parlant, la Parole et le Souffle, Paris, Gallimard, 1975. 39. JOUTARD Ph., Ces voix qui nous viennent du passé, 1983 40. LALANDE, A., Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, P.U.F., 1991. 41. LEBON Jean, Pour vivre la liturgie, Paris, Cerf, 1986, 42. LENHARDT P. et SION N. D., "L'importance de l'oralité dans la tradition juive et ses rejeux théologiques", in Marcel Jousse, du geste à la parole. Travaux et conférences du Centre Sèvres, (12), 1987, pp. 59-80. 43. LEVINAS E., L'au-delà du verset, lecture et discours talmudiques, Paris, éd. du Minuit, 1982. 44. LEVI-STRAUSS Cl., La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962. 45. LEVI-STRAUSS Cl., Mythologie : l'homme nu, Paris, Plon, 1971. 46. MANGEMATIN B., "Culture Yoruba : religion et langue", in Cahiers Marcel Jousse, (3) 1990, pp. 56-67, 47. MEYER J. M, "Aristote, Marcel Jousse et René Girard", in Cahiers Marcel Jousse, (4), 1993, pp.50-63. 48. MORIN E., Le paradigme perdu : la nature humaine, Paris, Seuil, 1973. 49. MORLAAS J., Contribution à l'étude de l'apraxie, Paris, s.éd., 1928. 50. MOURET M.G., "Développement psychique et spirituel à la lumière du symbolisme et de la tradition", in Cahiers Marcel Jousse, (3), 1990, pp. 31-40. 51. MUBENGAY LWAKALE Célestin, Initiation africaine et initiation chrétienne, Léopoldville, éditions du CEB, 1966. 52. PAIRAULT Cl., "Oralité à bout de souffle ?", in Marcel Jousse, du geste à la parole. Travaux et conférences du Centre Sèvres, (12), 1987, pp. 27-42. 53. PETIT A., "L’anthropologie du Geste et la mécanique judiciaire", Cahiers Marcel Jousse, (3) 1990, pp.64-78. 54. RACLE, La pédagogie interactive, Paris, Retz, 1983. 55. REBOUL Olivier, La philosophie de l'éducation, Paris, PUF, 1971. 56. RICOEUR Paul, Finitude et culpabilité, La symbolique du mal, Paris, Aubier, 1961. 57. RICOEUR Paul, De l'interprétation. Essai sur Freud, Paris, Seuil, 1965. 58. RICOEUR Paul, La symbolique du mal, Paris, Seuil, 1961. 59. RICOEUR Paul, Le conflit des interprétations. Essais d'herméneutique, Paris, Seuil, 1969. 60. SAVONNET H., "Les schémas opératoires du calcul propositionnel", in Interéduction, (8), 1969. 61. SCHWIND P., La splendeur de la forme, étude sur le rythme, Bruges, s.éd., 1981. 62. SIENAERT E., "Témoignage", in Cahiers Marcel Jousse, (4), 1993. 63. STAPPERS Léo, Précis du cours des littératures africaines, Faculté de Philosophie et Lettres, 2ème candidature en Philosophie, inédit, UNAZA-Lubumbashi, 1971-1972. 64. TODOROV T., Symbolisme et interprétation, Paris, Seuil, 1978. 65. TROCME-FABRE H., J'apprends, donc je suis, Paris, Les éditions d’organisations, 1990. 66. TURNER V, The ritual process. Structure and antistructure, New York, 1969. 67. TUZIME YILBULDO J., Elaboration d'une tradition orale, Séminaire de Koumi, Haute Volta, 1971. 68. VERRIER J., "Présentation", in Littéraire, (Les contes. Oral/Ecrit. Théorie/Pratique, 1982. 69. WEIL E. "Tradition et traditionalisme", in Essais et conférences, T. II, Paris, Plon, 1971, pp. 9-21. 70. ZUMTHOR P., Introduction à la poésie orale, Paris, Seuil, 1983.